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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

pâle et aux abois, essaye avec un couteau de faire du bruit sur son assiette. Mais, lyrique et tonitruant, le Sociétaire continue d’évoquer l’Amour dominateur. Lui-même il s’est dressé, imitant la bête, et, debout, il a l’air de couvrir la table.

L’effet est immense. Antoine vient de vivre une minute délicieuse et il savoure la gêne de tous les convives qui ont été saisis, peut-être séduits (le garçon paraît enflammé ; l’Arlésienne, stupéfaite, demeure, la prunelle fixe) ; mais il leur reste à présent comme une fatigue de cette scène imprévue, et Antoine, charitable, fait diversion en demandant le café.

— Pressons, mon vieux, pressons ! Nous avons un travail fou, tantôt !

Soudain il a repris son masque contracté des heures de travail.

Il se lève, nerveux ; il m’explique :

— Aujourd’hui, c’est la journée d’Arles : je tourne tout l’après-midi dans Arles. Cette histoire-là, comprenez-vous, c’est un triptyque ! J’ai,