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Et leur unique ami, leur hôte inévitable,
Leur ombre, leur Sosie, éternel compagnon
Qui s’attache à leurs pas, qui s’assied à leur table
Et couche dans leur lit, c’est toi, fatal Guignon !

Quelque jour, secouant leur tristesse importune,
Comme un habit use que l’on jette un matin,
Vers de lointains climats ils vont chercher fortune
C’est leur perdition qu’ils trouvent, c’est certain.

L’irrésistible vent qui pousse leur navire
Les ballotte sans fin de Charybde en Scylla ;
C’est en entrant au port que leur esquif chavire…
Et je les connais bien, car je suis de ceux-là !

J’ai semé sur le roc, j’ai bâti sur le sable ;
Le malheur m’attendait au sortir du berceau ;
J’ai sur mon front d’enfant, stigmate ineffaçable,
Senti son froid baiser s’imprimer comme un sceau !

Et depuis lors circule en mes fibres intimes,
À travers tous mes vœux de toute chance exclus,
Ce ténébreux amour qu’il a pour ses victimes,
Dans les mornes troupeaux dont il fait ses élus !