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À l’endroit où finit le gouffre expiatoire,
Au-dessus du Cocyte à mi-corps s’élevant,
Comme au bord de la mer un vaste promontoire,

Le vieux Satan dressait ses trois gueules au vent,
Si hautes qu’on eût dit des tours de cathédrales :
— Comment à cet aspect suis-je resté vivant ? —

Il tenait dans ses deux mâchoires latérales
Brutus et Cassius ; la gueule du milieu,
Toute rouge et jetant des lueurs sépulcrales,

Broyait le plus coupable en ce sinistre lieu,
Judas, l’Iscariote exécrable, le traître,
Qui pour un sac d’argent aux Juifs livra son Dieu.

Ô prodige ! — Aussitôt que Satan vit paraître
Mon guide qui joignait, sous ses longs cheveux d’or,
La majesté royale à la douceur du prêtre,

Le démon monstrueux, comme l’Etna qui dort
Et s’éveille en sursaut, avec un bruit d’orage,
De chaque gueule ouvrit le large corridor,

Et dans le noir Cocyte, insondable parage,
Que si lugubrement le vieux maître décrit,
Laissa choir sa pâture, en se tordant de rage.

Et j’entendis dans l’ombre un lamentable cri ;
— Judas, d’un seul regard de sa fauve prunelle,
Avait à mon côté reconnu Jésus-Christ.

Car c’était lui, debout, dans la nuit solennelle,
Mon compagnon, mais tel qu’il siège au paradis,
Enveloppé d’aurore et de gloire éternelle.