Page:Belon - L’histoire naturelle des estranges poissons marins.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le doz, & aus deux costez des ouyes, & plusieurs barbes pendãtes par dessoubs la gorge, cochees a la façon d’une creste de Coq : choses totalement fauises & estranges a ce poisson, & qui me sẽblent estre moins seantes, qu’il ne seroit convenable a la dignité du Prince, veu mesmement qu’on en eust bien facilement peu recouvrer la peincture. Car (comme i’ay desia dict) il n’y ha habitant au rivage de la mer Adriatique ou Mediterranee, qui encore pour le iourd’huy ne retienne l’antique appellation de Daulphin. Ie scay bien dont vient la faulte. C’est qu’il est advenu en sa peincture tout ainsi comme a ceuls qui faisoyent peindre les Aigles de l’Empire. Car comme les peinctres sont curieuls de monstrer leur artifice, & de faire mieuls apparoir les traicts de la peincture, aussi ont ils adiousté quelques ornements a cest Aigle pour la faire mieuls complaire a la veue, attendu mesmement que les peinctres l’estudient de bien remplir le champ de couleurs. Laquelle chose a esté de si long temps continuee, que cela est non seulement es peinctures des Aigles en forme plane, mais aussi es graveures, tant sur bois, marbres, que metail. Et tellemẽt leur ont desguisé les testes, & faict diversemẽt retourner les plumes, qu’elles ne retiennent quasi plus rien de l’Aigle.

XXIX.

Quelle raison ont eu les peinctres de desguiser le Daulphin, & luy faire perdre sa forme.

DE semblable occasion a esté desguisé le Daulphin cõme l’Aigle, lequel combiẽ que nature l’avoit fabriqué, sans luy avoir donné beaucoup d’ornements de beaulté, l’ayant seulement composé tout d’une venue comme une cheville, couvert d’une peau polie resemblant quelque cuir, sans escailles, n’aiãt point d’autres belles couleurs qu’on voit en plusieurs autres poissons, & n’aiant rien que du noir & du blanc. Ce neantmoins les peinctres de leur authorité luy ont adiousté quelque chose de leur artifice, le retirants en portraicture, estimants que s’ils suyvoient le naturel, la peincture en seroit mal plaisante a la veue. C’est la raison pourquoy ils luy ont changé sa figure, tellement qu’il ne retient note quelconque qui se puisse attribuer au naturel, & n’ha merque sur soy en quelque sorte que ce soit, qui ne soit faulse : ou bien il le