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Un jeune garçon, d’une physionomie intéressante et distinguée, mais pâle, chétif, et paraissant accablé de fatigue, dévorait quelques aliments que le père portier s’était empressé de lui offrir. En face, un homme à peine vêtu de haillons, souillé de poussière, couvait cet enfant d’un regard attendri, d’un regard qui ne pouvait être que celui d’un père.

Juan de Marchena lui aussi était père, père d’une famille pauvre, et chérissant et honorant la pauvreté. Il commença donc par engager son nouvel hôte à réparer ses forces, et quand celui-ci eut pris sa part de la collation, le bon père, sûr de n’être pas indiscret, n’hésita plus à l’interroger. À ce maintien, à ce noble visage que nous avons déjà dépeint, à ces yeux qu’humectaient la reconnaissance, mais dont nulle épreuve, nulle avanie n’avaient pu fléchir l’assurance, ni troubler la limpidité, il avait reconnu un homme.

L’étranger répondit qu’il était Génois, comme l’indiquait son accent ; qu’il se nommait Christophe Colomb, et qu’ayant conçu la pensée et arrêté le projet d’aller dans l’Inde par « la mer Océane », il venait offrir aux deux rois de partager avec eux la gloire de cette entreprise, dont tous les frais seraient naturellement à leur charge.

À cette déclaration d’une naïveté que tout autre Espagnol eût peut-être taxée de folie, le père de Marchena ne manifesta aucune surprise : il partageait, dit-il, les convictions de Colomb ; il ne doutait pas davantage que les deux rois — l’un d’eux au moins — n’accueillissent avec joie sa proposition ; mais les circonstances étaient loin d’être favorables, et, en attendant qu’elles le devins-