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JOURNAL DE L'ORDRE.

voquez pour m’empêcher de gagner ma vie au grand jour, de la manière qui me plaît le mieux et sous le contrôle de tout le monde, je déclare que je ne vous comprends pas, ou, mieux, que je vous comprends trop.

Pour sauvegarder l’intérêt collectif, on condamne un homme qui a guéri son semblable illégalement ; — c’est un mal que de faire le bien illégalement ; — sous le prétexte qu’il n’a pas reçu ses grades, on empêche un homme de défendre la cause d’un citoyen (souverain) qui l’a investi de sa confiance ; on arrête un écrivain ; on ruine un imprimeur ; on incarcère un colporteur ; on traduit en cour d’assises un homme qui a poussé un cri, ou qui s’est coiffé d’une certaine façon. Qu’est-ce que je gagne à toutes ces infortunes ? Qu’y gagnez-vous ? Je cours des Pyrenées à la Manche et de l’Océan aux Alpes, et je demande à chacun des trente-six millions de Français quel profit ils ont retiré de ces cruautés stupides exercées en leur nom sur des malheureux dont les familles gémissent, dont les créanciers s’inquiètent, dont les affaires périssent et qui se suicideront peut-être de désespoir ou deviendront criminels de rage quand ils auront échappé aux rigueurs qu’on leur fait subir. Et, à cette question, nul ne sait ce que j’ai voulu dire ; chacun décline sa responsabilité dans ce qui s’est fait ; le malheur des victimes n’a rien rapporté à personne ; des larmes ont été versées, des intérêts ont été lésés en pure perte. Eh ! c’est cette monstruosité sauvage que vous appelez l’intérêt collectif ? J’affirme, pour ma part, que si cet intérêt collectif n’était pas une honteuse erreur, je l’appellerais le plus vil des maraudages.

Mais laissons là cette furieuse et sanglante fiction, et disons que la seule manière de parfaire l’intérêt collectif consistant à sauvegarder les intérêts privés, il reste démontré et surabondamment prouvé que la chose la plus importante, en matière de sociabilité et d’économie, c’est de dégager avant tout, l’intérêt privé.

J’ai donc raison de dire que la seule vérité sociale, c’est la vérité naturelle, c’est l’individu, c’est moi.

CHAPITRE III.

QUE LE DOGME INDIVIDUALISTE EST LE SEUL DOGME FRATERNEL.

Qu’on ne me parle point de la révélation, de la tradition, des philosophies chinoise, phénicienne, égyptienne, hébraïque, grecque, romaine, tudesque ou française ; en dehors de ma foi ou de ma religion dont je ne dois compte à personne, je n’ai que faire des divagations de l’ancêtre ; je n’ai pas d’ancêtres ! Pour moi, la création du monde est datée du jour de ma naissance pour moi, la fin du monde doit s’accomplir le jour où je restituerai à la masse élémentaire l’appareil et le souffle qui constituent mon individualité. Je suis le premier homme, je serai le dernier. Mon histoire est le résumé complet de l’histoire de l’humanité ; je n’en connais pas, je n’en veux pas connaître d’autre. Quand je souffre, quel bien me revient-il des jouissances d’autrui ? Quand je jouis, que retirent de mes plaisirs ceux qui souffrent ? Que m’importe ce qui s’est fait avant moi ? En quoi suis-je touché par ce qui se fera après moi ? Je n’ai à servir ni d’holocauste au respect des générations éteintes, ni d’exemple à la postérité. Je me renferme dans le cercle de mon existence, et le seul problème que j’aie à résoudre, c’est celui de mon bien être. Je n’ai qu’une doctrine, cette doctrine