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L'ANARCHIE

vidus ou du peuple, il est rationnel que le peuple, devenu clairvoyant à l’endroit des vérités essentielles, reporte sur son néant propre toute l’horreur qu’il avait d’abord ressentie pour le néant de ses instituteurs.

L’anarchie est un vieux mot, mais ce mot exprime pour nous une idée moderne, ou plutôt un intérêt moderne, car l’idée est la fille de l’intérêt. L’histoire a appelé anarchique l’état d’un peuple au sein duquel se trouvaient plusieurs gouvernements en compétition ; mais autre chose est l’état d’un peuple qui, voulant être gouverné, manque de gouvernement précisément parce qu’il en a trop, et autre chose l’état d’un peuple qui, voulant se gouverner lui-même, manque de gouvernement précisément parce qu’il n’en veut plus. L’anarchie antique a été effectivement la guerre civile et, cela non pas parce qu’elle exprimait l’absence, mais bien la pluralité des gouvernements, la compétition, la lutte des races gubernatives.

La notion moderne de la vérité sociale absolue ou de la démocratie pure, a ouvert toute une série de connaissances ou d’intérêts qui renversent radicalement les termes de l’équation traditionnelle. Ainsi, l’anarchie qui, au point de vue relatif ou monarchique, signifie guerre civile, n’est rien de moins, en thèse absolue ou démocratique, que l’expression vraie de l’ordre social.

 En effet :
Qui dit anarchie, dit négation du gouvernement ;
Qui dit négation du gouvernement, dit affirmation du peuple ;
Qui dit affirmation du peuple, dit liberté individuelle ;
Qui dit liberté individuelle, dit souveraineté de chacun ;
Qui dit souveraineté de chacun, dit égalité ;
Qui dit égalité, dit solidarité ou fraternité ;
Qui dit fraternité, dit ordre social ;
Donc, qui dit anarchie, dit ordre social.
Au contraire
Qui dit gouvernement, dit négation du peuple ;
Qui dit négation du peuple, dit affirmation de l’autorité politique ;
Qui dit affirmation de l’autorité politique, dit dépendance individuelle ;
Qui dit dépendance individuelle, dit suprématie de caste ;
Qui dit suprématie de caste, dit inégalité ;
Qui dit inégalité, dit antagonisme ;
Qui dit antagonisme, dit guerre civile.
Donc, qui dit gouvernement, dit guerre civile.

Je ne sais si ce que je viens de dire est ou nouveau, ou excentrique, ou effrayant. Je ne le sais ni ne m’occupe de le savoir. Ce que je sais c’est que je puis mettre hardiment mes arguments en jeu contre toute la prose du gouvernementalisme blanc et rouge passé, présent et futur. La vérité est que, sur ce terrain, qui est celui d’un homme libre, étranger à l’ambition, ardent au travail, dédaigneux du commandement, rebelle à la soumission, je défie tous les argumentateurs du fonctionnarisme, tous les logiciens de l’émargement et tous les folliculaires de l’impôt monarchique ou républicain, qu’il s’appelle d’ailleurs progressif, proportionnel, foncier, capitaliste, rentier ou consommateur.

Oui, l’anarchie c’est l’ordre ; car, le gouvernement c’est la guerre civile.

Quand mon intelligence pénètre au-delà des misérables détails sur lesquels s’appuie la polémique quotidienne, je trouve que les guerres intestines qui ont, de tout temps, décimé l’humanité se rattachent à cette cause unique, à savoir le renversement ou la conservation du gouvernement.

En thèse politique, s’égorger a toujours signifié se dévouer à la durée ou à l’avènement d’un gouvernement. Montrez-moi un endroit où l’on s’assassine en masse et en plein vent, je vous ferai voir un gouvernement à