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LE JOURNAL DE L'ORDRE.

Les injustices une fois réparées dans l’ordre politique, abordons l’économie et la sociabilité.

Vous ne ferez pas banqueroute, cela va sans dire, c’est vous qui avez récriminé contre M. Fould ; l’honneur national que vous entendez à la façon de Garnier — 45 centimes vous fera un devoir de respecter la Bourse au détriment de trente-cinq millions de contribuables ; la dette créée par les monarchies a un trop noble caractère pour que tout le peuple français ne doive pas se saigner annuellement de quatre cent cinquante millions au profit d’une poignée d’agioteurs. Vous commencerez donc par sauver la dette, nous serons ruinés mais honorables, ces deux qualifications ne s’accordent guère par le temps qui court ; mais, enfin c’est encore du vieux temps que vous faites, et le peuple obéré comme devant, en pensera ce qu’il voudra.

Mais j’y pense, vous devez avant tout exonérer les pauvres, les travailleurs, les prolétaires ; vous arrivez avec une loi contributive sur les riches. À la bonne heure ! je suis capitaliste et vous me demandez un pour cent, diable ! comment me tirer de là ? Tout bien réfléchi, ce n’est pas moi qui utilise mon capital ; je le prête à l’industrie ; l’industriel en ayant grand besoin, ne laissera pas de le prendre pour un pour cent en plus, c’est donc sur lui que je me déchargerai de la contribution. L’impôt sur le capital tombe net sur le nez du travail.

Je suis rentier et vous frappez le coupon, ceci est inquiétant, par exemple. À tout prendre, cependant il y a un moyen de s’en tirer. Qui est-ce qui doit ? C’est l’État. Puisque c’est l’État, le malheur n’est pas grand ; l’impôt qui pèse sur le coupon déprécie immédiatement d’autant la valeur de ce coupon ; le coupon étant déprécié au préjudice du débiteur qui est l’État et au profit du trésor qui est l’État ; l’État tire de sa poche pour mettre dans sa caisse et il reste quitte et moi aussi. Le tour est très-joli et j’avoue que vous êtes d’une belle force.

Je suis propriétaire de maisons de ville et vous imposez mes appartements à cela je n’ai rien, absolument rien à dire. Vous vous arrangerez avec mes locataires ; car vous ne me supposez pas, sans doute, assez sot pour ne pas me couvrir de l’impôt sur le loyer.

Le mot le plus dépourvu de sens qui ait été prononcé depuis la révolution de février c’est celui-ci : L'IMPOT SUR LES RICHES ! mot, sinon pervers, du moins profondément irréfléchi. Je ne sais ce qu’on appelle les riches dans un pays cemme celui-ci où tout le monde est endetté et où l’état des mœurs pousse la plupart des propriétaires, rentiers et capitalistes, à dépenser, par an, plus que leur revenu. En tout cas, le riche admis, je vous défie de l’atteindre, vos tentatives sur lui n’indiquent qu’une grossière ignorance des lois élémentaires de l’économie sociale et de la solidarité des intérêts. Le coup que vous voudrez porter au riche ira frapper droit sur l’industriel, sur le prolétaire, sur le pauvre. Voulez-vous exonérer le pauvre, n’imposez personne. Administrez la France avec 180 ou 200 millions, comme s’administrent les États-Unis ; or, 200 millions dans un pays comme la France se trouvent sans qu’on y prenne garde ; n’en donnons-nous pas cent rien que pour fumer de mauvais cigares ?

Mais, pour cela, il ne faudrait qu’administrer et vous voulez gouverner : c’est bien autre chose. Frappez donc les riches, après quoi vous règlerez vos comptes avec les pauvres.

Déjà, la formation de votre budget vous met sur les bras bon nombre de mécontents ; ces questions d’argent, voyez-vous, sont fort délicates. Enfin, passons outre.

Proclamez-vous la liberté illimitée de la presse ? Cela vous est interdit. Vous ne changerez pas la base de l’impôt, vous ne toucherez pas à la