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L'ANARCHIE

Si les partis ne sentaient pas le peuple sur leurs derrières, si, tout au moins, le peuple, exclusivement occupé de ses intérêts matériels, de ses industries, de son commerce, de ses affaires, couvrait de son indifférence ou même de son mépris cette basse stratégie qu’on appelle la politique, s’il prenait, à l’égard de l’agitation morale, l’attitude qu’il prit le 13 juin vis-à-vis de l’agitation matérielle, les partis, tout-à-coup isolés, cesseraient de s’agiter ; le sentiment de leur impuissanceglacerait leur audace ; ils sécheraient sur pied, s’égraineraient peu à peu dans le sein du peuple, s’évanouiraient enfin et le gouvernement qui n’existe que par l’opposition, qui ne s’alimente que des querelles que les partis lui suscitent, qui n’a sa raison d’être que dans les partis, qui, en un mot, ne fait depuis cinquante ans que se défendre et qui, s’il ne se défendait plus, cesserait d’être, le gouvernement, dis-je, pourrirait comme un corps mort ; il se dissoudrait de lui-même, et la liberté serait fondée.

CHAPITRE VIII.

QUE LE PEUPLE N’A RIEN À ATTENDRE D’AUCUN PARTI.


Mais la disparition du gouvernement, l’anéantissement de l’institution gouvernementale, le triomphe de la liberté dont tous les partis parlent, ne feraient réellement l’affaire d’aucun parti, car j’ai surabondamment prouvé qu’un parti, par cela seul qu’il est parti, est essentiellement gouvernemental. Aussi les partis se gardent-ils de laisser croire au peuple qu’il peut se passer de gouvernement. De leur polémique quotidienne il résulte en effet, que le gouvernement agit mal, que sa politique est mauvaise, mais qu’il pourrait agir mieux, que sa politique pourrait être meilleure. En fin de compte, chaque journaliste laisse au fond de ses articles cette pensée si j’étais là, vous verriez comment je gouvernerais !

Eh ! bien, voyons si véritablement il y a une manière équitable de gouverner voyons s’il est possible d’établir un gouvernement dirigeant et d’initiative, un pouvoir, une autorité sur les bases démocratiques du respect individuel. Il m’importe d’examiner à fond cette question, car j’ai dit tout à l’heure que le peuple n’avait rien à attendre d’aucun gouvernement ni d’aucun parti et j'ai hâte d’en venir aux preuves.

Nous voilà en 1852 ; le pouvoir que vous espérez avoir, vous montagne, vous socialisme, vous modérés, même — je n’y tiens pas — vous l’avez. La majorité est imposante à gauche, je m’en applaudis soyez les bien venus. Compliments faits, comment entendez-vous la besogne ?

Je vous fais grâce de vos divisions intestines ; je m’abstiens de voir parmi vous Girardin, Proudhon, Louis Blanc, Pierre Leroux, Considérant, Cabet, Raspail ou leurs disciples ; je suppose qu’il règne parmi vous une parfaite union, pour vous servir je suppose l’impossible, car je veux, avant tout, faciliter le raisonnement.

Vous voilà donc d’accord, qu’allez-vous faire ?

Élargissement de tous les prisonniers politiques ; amnistie générale. Bien. Vous n’excepterez pas les princes, sans doute, car vous auriez l’air de les craindre et cette crainte trahirait une défiance de vous mêmes ; ce serait avouer qu’on pourrait bien vous les préférer, aveu qui impliquerait l’incertitude d’accomplir le bien général.