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LE JOURNAL DE L'ORDRE.

nom de République, ils l’ont géré et administré. Cela est, enfin si vrai, que le parti bourgeois a fait de 1815 à 1850 la guerre aux nobles ; parce que les bourgeois étaient écartés des emplois ; que les nobles et les républicains ont fait de 1830 à 1848 la guerre aux bourgeois, parce que les uns et les autres étaient écartés des emplois et que, depuis l’avènement au pouvoir des royalistes, le grand grief des républicains contre eux c’est qu’ils ont destitué des fonctionnaires de formation soi-disant républicaine, avouant ainsi, avec une naïveté touchante que, pour eux, la République est une question d’émargement.

Par la même raison qu’un parti se meut pour s’approprier les emplois ou le pouvoir, le gouvernement, qui en est nanti, s’agite pour les conserver. Mais comme un gouvernement se trouve, à tort ou à raison, entouré d’un appareil de forces qui lui permet de traquer, de persécuter, d’opprimer ceux qui veulent le dépouiller, le peuple qui, par contre-coup, subit les mesures oppressives provoquées par l’agitation des ambitieux et dont, d’ailleurs, la grande âme s’ouvre aux tribulations des opprimés, suspend ses affaires, marque un point d’arrêt dans la voie progressive qu’il parcourt, s’informe de ce qui se dit, de ce qui se fait, s’échauffe, s’irrite et finalement prête main-forte pour aider au renversement de l’oppresseur.

Mais le peuple ne s’étant pas battu pour lui, attendu que le droit, comme je l’expliquerai plus loin n’a pas pour triompher besoin de combat, il a vaincu sans profit ; mis au service des ambitieux son bras, a poussé au pouvoir une nouvelle coterie à la place de l’ancienne et bientôt les oppresseurs de la veille, devenant les opprimés, le peuple qui, comme devant, reçoit encore le contre-coup des mesures oppressives provoquées par l’agitation du parti vaincu et dont, comme toujours, la grande âme s’ouvre aux tribulations des victimes, suspend de nouveau ses affaires, et finit par prêter une fois de plus main-forte aux ambitieux.

Mais, en définitive, le peuple dans ce jeu brutal et cruel, ne fait que perdre son temps et aggraver sa situation ; il s’appauvrit et souffre. Il n’avance pas d’une semelle.

Il est difficile, je l’avouerai sans répugnance, que les fractions populaires qui sont tout sentiment, tout passion, se contiennent lorsque l’aiguillon de la tyrannie les pique trop avant ; mais s’il est démontré que l’emportement des partis n’aboutit qu’à empirer les choses, s’il est prouvé en outre, que le mal dont le peuple a à se plaindre lui est apporté par des groupes qui, par cela seul qu’ils n’agissent pas comme lui, agissent contre lui, il ne reste aux partis qu’à faire halte, au nom du peuple qu’ils oppriment, qu’ils appauvrissent, qu’ils abrutissent et qu’ils accoutument à ne faire que se quereller. Mais il n’y a pas à compter sur les partis. Le peuple ne doit compter que sur lui-même.

Sans remonter fort haut dans notre histoire, en prenant seulement les pages des deux dernières années qui viennent de s’écouler, il est facile de voir que les lois oppressives qui ont été rendues ont toutes, pour cause première, la turbulence des parties. Il serait long et fastidieux d’en faire ici l’énumération, mais je dois dire, pour me conformer à l’exactitude des faits historiques, que si, depuis février 1848, une mesure tyrannique peut être citée qui ne s’appuie pas sur des provocations de parti, qui soit due au bon plaisir du pouvoir, c’est celle dont M. Ledru-Rollin enjoignit, dans ses circulaires, l’exécution à ses préfets.

Depuis cette époque les prérogatives populaires s’en sont allées une à une, pour avoir été découvertes et livrées par l’impatience et l’agitation des ambitieux. Le pouvoir ne pouvant spécialiser la loi frappe tout le monde des coups, que seuls, les partis devraient subir, le peuple est opprimé, la faute n'en est qu’aux partis.