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LE JOURNAL DE L'ORDRE

laisse ici la moitié de cet écu. À ces obstacles multiples, qui s’élèvent de toutes parts, mon esprit intimidé s’affaisse vers l’abrutissement ; je ne sais de quel côté me retourner ; je ne sais que faire, je ne sais que devenir.

Qui donc a ajouté aux fléaux atmosphériques, aux décompositions de l’air, aux insalubrités des climats, à la foudre que la science a su dompter, cette puissance occulte et sauvage, ce génie malfaisant qui attend l’humanité au berceau pour la faire dévorer par l’humanité ? Qui ? Mais ce sont les hommes eux-mêmes qui, n’ayant pas assez de l’hostilité des éléments, se sont encore donné les hommes pour ennemis.

Les masses, encore trop dociles, sont innocentes de toutes les brutalités qui se commettent en leur nom et à leur préjudice ; elles en sont innocentes, mais elles n’en sont pas ignorantes ; je crois que, comme moi, elles les sentent et s’en indignent ; je crois que, comme moi, elles ont hâte d’en finir ; seulement, n’en distinguant pas bien les causes, elles ne savent comment agir. Je vais essayer de les fixer sur l’un et l’autre point.

Commençons par signaler les coupables.


CHAPITRE V.

DE L’ATTITUDE DES PARTIS ET DE LEURS JOURNAUX.


La majesté du Peuple n’a pas d’organe dans la presse française. Journaux bourgeois, journaux nobles, journaux sacerdotaux, journaux républicains, journaux socialistes : Livrées ! domesticité pure ; toutes ces feuilles astiquent, frottent, époussètent les harnais de quelque chevalier politique en expectative d’un tournoi, dont le pouvoir est le prix, dont, par conséquent, ma servitude, la servitude du Peuple sont le prix.

Excepté la Presse qui, parfois, quand son rédacteur oublie d’être orgueilleux pour rester fier, sait trouver quelqu’élévation de sentiments ; excepté la Voix du Peuple qui, de temps à autres, sort de la vieille routine pour jeter quelques clartés sur les intérêts généraux, je ne puis lire un journal français sans ressentir, pour celui qui l’a écrit, une fort grande pitié ou un très-profond mépris.

D’une part, je vois venir le journalisme gouvernemental, le journalisme puissant par l’or du budget et par le fer de l’armée, celui qui a la tête ceinte de l’investiture de l’autorité suprême et qui tient dans sa main les foudres que cette investiture consacre. Je le vois venir, dis-je, la flamme dans l’œil, l’écume sur les lèvres, les poings fermés comme un roi des halles, comme un héros de pugilat ; apostrophant à l’aise et avec une lâcheté brutale, un adversaire désarmé contre lequel il peut tout et duquel il n’a rien, absolument rien à craindre ; le traitant de voleur, d’assassin, d’incendiaire ; le parquant comme bête fauve, lui refusant la pitance, le jettant dans les prisons sans savoir comment, sans lui dire pourquoi et s’applaudissant de ce qu’il fait, vantant la gloire qu’il en retire, comme si, en luttant contre des gens désarmés, il risquait quelque chose et courait quelque péril.

Cette couardise me révolte.

D’autre part, se présente le journalisme de l’opposition, esclave grotesque et mal élevé ; passant son temps à geindre, à pleurnicher et à deman-