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LE DESIR.

Adieu vous dy, ma Maiſtreſſe m’appelle :
I’aime trop mieux las ! ſoupirer pres d’elle,
Que viure en ris ſans elle en ce bas lieu.
I’enten ſa voix, adieu lauriers adieu.




LE DESIR.


Celuy n’eſt pas heureus qui n’a ce qu’il deſire,
Mais bien-heureux celuy qui ne deſire pas
Ce qu’il n’a point : l’vn ſert de gracieus appas
Pour le contentement, & l’autre eſt vn martyre.

Deſirer eſt tourment qui bruſlant nous altere
Et met en paſſion : donc ne deſirer rien
Hors de noſtre pouuoir, viure content du ſien,
Ores qu’il fuſt petit, c’eſt fortune proſpere.

Le deſir d’en auoir pouſſe la nef en proye
Du corſaire, des flots, des roches & des vents :
Le deſir importun aux petits d’eſtre grands,
Hors du commun ſentier bien ſouuent les déuoye.

L’vn pouſſé de l’honneur par flateuſe induſtrie
Deſire ambitieux ſa fortune auancer :
L’autre ſe voyant pauure à fin d’en amaſſer
Trahiſt ſon Dieu, ſon Roy, ſon ſang & ſa patrie.

L’vn pippé du Deſir, ſeulement pour l’envie
Qu’il a de ſe gorger de quelque faux plaiſir,
En fin ne gaigne rien qu’vn faſcheux deſplaiſir,
Perdant ſon heur, ſon temps, & bien ſouuent la vie.

L’vn pour ſe faire grand & redorer l’image
A ſa triſte fortune, eſpoind de ceſte ardeur,
Soupire apres vn vent qui le plonge en erreur.
Car le Deſir n’eſt rien qu’vn perilleux orage.