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dispositions de combat du Proconsul. Sa version a pour accompagnement nécessaire des notes historiques, politiques, critiques et surtout techniques, qui en doublent l’intérêt. Plans de batailles, mouvements des armées, sièges des oppida, tout cela revit dans des planches instructives qui sont elles-mêmes comme une seconde version destinée à compléter l’autre. Avant les considérations de Napoléon Ier sur la guerre des Gaules, jamais les récits de César n’avaient été l’objet d’une étude aussi approfondie que celle de Turpin de Crissé.

Comment les poètes doivent-ils être traduits ? En prose, ou en vers ?

Telle est la grosse question qui depuis trois siècles divise les lettrés.

Les uns disent :

Le traducteur en prose dispose de moyens plus faciles, de ressources plus nombreuses pour reproduire le mouvement, les expressions, les figures, les images de l’original. Il a moins de peine à conserver aux mots leur justesse, leur propriété, la place qui leur a été assignée. Il peut, bien plus aisément, bien plus sûrement, rendre au style sa précision, aux formes leur exactitude et leur variété !

Les autres répondent :

Tout cela est vrai ; mais le traducteur en vers a sur son émule en prose un avantage inappréciable, c’est d’employer l’harmonie de sa langue comme l’auteur original a employé l’harmonie de la sienne ; c’est de pénétrer dans l’âme même du lecteur à l’aide de séductions phonétiques et musicales analogues à celles dont l’auteur original s’est servi lui-même. Aussi les effets qu’il obtient sont-ils supérieurs à ceux qu’obtient le traducteur en prose. Il a en outre le mérite de la difficulté vaincue.

De tout temps, les arguments pour et contre ont été produits avec une autorité à peu près égale.

Si nous en croyons l’abbé Desfontaines, « quelque travail qu’ait coûté une traduction en vers, elle n’est jamais exacte, et ne peut pas l’être. Le traducteur en vers ou omet, ou ajoute, nécessairement, et dès lors cesse d’être un traducteur proprement dit. Ce n’est plus qu’un imitateur et qu’un paraphraste. »