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petite héroïne, malgré ses hautes vertus, était femme cependant et douée d’une imagination qui parfois s’égarait jusqu’aux choses de la terre ; et ce héros glorieux, paré de dentelles et de broderies, unissant en sa personne le rang, la galanterie, la bravoure, la connaissance du monde, le désintéressement, la constance et la piété, passait parfois devant ses yeux tandis qu’elle filait sa quenouille, jusqu’à ce qu’elle soupirât, presque sans savoir pourquoi, de ce qu’il ne se trouvait plus de tels hommes sur la terre. Nous devons ajouter que cette invasion accidentelle du romanesque dans l’esprit calme et bien réglé de Marie était bientôt énergiquement combattue, et si le livre restait sur sa table, c’est qu’il était protégé par le souvenir de son père qui en avait fait présent à mistress Scudder pendant qu’il lui faisait la cour. La petite glace était encadrée de coraux et de coquilles curieuses, dont l’arrangement trahissait un œil d’artiste et une main adroite ; de bizarres peintures chinoises, imitation de fleurs et d’oiseaux, ajoutaient quelque chose de piquant et d’étranger à la gracieuse simplicité de cette petite retraite.

C’était là que Marie passait le peu d’heures que sa conscience exigeante lui permettait de soustraire à la couture et aux soins du ménage ; là qu’elle lisait et qu’elle écrivait, qu’elle réfléchissait et qu’elle priait ; c’est là qu’en ce moment elle s’habillait pour la réunion de l’après-midi. La toilette, qui de nos jours devient souvent toute la femme, était à cette époque une affaire fort simple. Toute personne de quelque conséquence avait, il est vrai, en réserve des robes de gala et de cérémonie, et certaine malle de bois de camphrier, toujours tenue solennellement fermée dans la chambre de mistress Scudder, eût pu, si elle avait parlé, énumérer un long catalogue de satins, de brocarts et de dentelles. Là reposait la toilette de noce dans la blancheur immaculée de sa soie épaisse, roide et semée de gros bouquets de fleurs ; là étaient plusieurs écharpes de crêpe de Chine, de mousseline de l’Inde dont chacune avait son histoire, car l’une après l’autre avaient été apportées au retour d’un voyage par celui qui, hélas ! ne devait plus revenir. Mille