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Il y avait néanmoins chez Marie quelque chose qui la distinguait des autres jeunes filles de son âge. Elle tenait de son père un caractère méditatif et réfléchi, disposé à l’exaltation morale et religieuse. Née en Italie, sous la douce influence d’un ciel splendide et plein de visions, à l’ombre des cathédrales, où les saints et les anges vous sourient dans un nimbe de nuages, du haut de chaque arceau, elle aurait pu, comme sainte Catherine de Sienne, voir des apparitions bienheureuses dans les nuées ou une colombe aux ailes argentées descendre vers elle pendant ses prières ; mais elle s’était développée dans l’atmosphère claire, nette et froide de la Nouvelle-Angleterre, elle avait été nourrie de sa théologie abstraite et positive ; ses dispositions religieuses prirent un autre tour. Au lieu de se prosterner dans des extases mystiques au pied des saints autels, elle avait lu et médité des traités sur la volonté, elle avait écouté avec une ardente attention son guide spirituel, le docteur Hopkins, développer les théories du grand Edwards sur la nature de la véritable vertu.[1] En vraie femme, elle avait saisi la subtile poésie de ces abstractions sublimes qui traitaient de l’inconnu et de l’infini, qui lui parlaient de l’univers, de son grand architecte, de l’humanité et des anges comme d’objets d’une contemplation intime et quotidienne. Son maître, l’esprit le plus grand, le cœur le plus simple qui fut jamais, s’étonnait souvent de l’aisance avec laquelle cette belle jeune fille parcourait ces hautes régions de l’abstraction, devinant quelquefois, par la netteté singulière d’un esprit privilégié, les conclusions auxquelles il était arrivé par une longue suite de raisonnements. Parfois, quand elle tournait vers lui sa figure enfantine et sérieuse pour lui faire une réponse ou lui adresser une question, le digne homme tressaillait, comme si un ange lui eût apparu. Sans s’en rendre compte, il semblait souvent la suivre, comme Dante suivait des yeux Béatrix remontant les cercles des sphères célestes.

Lorsque sa mère le questionnait avec inquiétude sur l’é-

  1. Jonathan Edwards, théologien célèbre de la Nouvelle-Angleterre, auteur de deux traités sur la Volonté et sur les Affections.