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La cloche donna le signal du départ, et Georges eut la satisfaction de voir Marks repasser la planche et gagner le rivage. Quand la marche du bateau eut mis entre eux une distance infranchissable, il poussa un soupir d’allégement.

Le jour était superbe ; les vagues bleues du lac Érié scintillaient et dansaient au soleil ; une fraîche brise soufflait du rivage, et le majestueux bateau sillonnait vaillamment le champ d’azur.

Oh ! quel monde inédit contient un cœur humain ! Tandis que Georges se promenait, calme, sur le pont, son timide compagnon à ses côtés, qui se fut douté de tout ce qui brûlait au-dedans de lui ? Le bonheur qui approchait semblait trop grand, trop beau, pour devenir jamais une réalité : il ressentait à chaque instant une vague terreur de ce qui pourrait survenir et le lui arracher.

Cependant le bateau avançait rapidement ; — les heures fuyaient, et la bienheureuse rive anglaise apparut enfin claire et distincte : rive enchantée par un tout-puissant talisman, dont le seul contact dissout la noire magie de l’esclavage, et dissipe ses conjurations, en quelque langue qu’elles aient été prononcées, quel que soit le pouvoir qui les confirme.

Le mari et la femme, debout, se tenaient par le bras au moment où le bateau approchait de la petite ville d’Amherstberg, en Canada. La respiration de Georges devint courte et pressée ; un brouillard s’amassa devant ses yeux ; il pressa en silence la petite main qui tremblait dans la sienne. La cloche sonnait : le bateau aborda. Sachant à peine ce qu’il faisait, il réunit les bagages et rassembla ses compagnons. Le petit groupe fut mis à terre.

Ils restèrent immobiles jusqu’à ce que le bateau se fût éloigné. Se jetant alors dans les bras l’un de l’autre, le mari, la femme, et l’enfant étonné, tombèrent à genoux, et élevèrent leurs cœurs à Dieu !