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« À qui étiez-vous ? demanda Emmeline.

— À M. Ellis. C’était le nom de mon maître ; — il demeurait dans la rue de la Levée. Peut-être bien que vous avez vu la maison ?

— Était-il bon pour vous ?

— Assez bon, avant de tomber malade ; mais il a été couché près de six mois ; ça allait, ça venait, et il était terriblement difficile. Il ne voulait pas qu’on dorme ni nuit ni jour : ça l’agaçait ; il ne s’arrangeait de personne, et toujours il empirait. J’ai resté des nuits et des nuits debout ; je ne pouvais plus me tenir éveillée ; et parce qu’une fois je m’étais endormie, il se mit si fort en colère ! il dit qu’il me vendrait pour sûr au plus méchant maître qui se pourrait trouver. Il m’avait pourtant promis que j’aurais ma liberté après sa mort.

— Aviez-vous des parents ? reprit Emmeline.

— Oui, mon mari ; c’est un forgeron. Le maître l’envoyait à loyer au dehors. Ils m’ont emmenée si vite que je n’ai pas eu le temps de le voir : et j’ai quatre petits enfants. Oh ! Seigneur, Seigneur ! » dit la femme, se couvrant la figure de ses mains.

C’est un sentiment naturel chez tous, en entendant un douloureux récit, de chercher quelques paroles consolantes. Emmeline eût voulu dire quelque chose, mais elle ne trouvait rien… De quoi eût-elle pu parler ? Toutes deux, comme d’un commun accord, évitaient avec terreur la moindre allusion à l’homme horrible qui était devenu leur maître.

Même aux heures les plus sombres, la foi religieuse nous reste. Membre de l’Église méthodiste, la mulâtresse avait une piété peu éclairée, mais sincère. Emmeline lui était fort supérieure en intelligence ; elle avait appris à lire, à écrire, et une maîtresse éclairée et pieuse lui avait enseigné les vérités de la Bible. Mais n’est-ce pas une bien rude épreuve pour la foi du plus ferme chrétien que de se sentir, en apparence abandonné de Dieu, à la merci