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la plantation. D’abord, il grommelait et menaçait sourdement ; mais hier il m’a commandé de prendre Mina et de m’établir dans une case avec elle, sinon il me vendra pour la basse rivière.

— Mais tu as été marié avec moi par le ministre, ni plus ni moins que si tu avais été un blanc, dit ingénument Éliza.

— Ne sais-tu pas qu’un esclave ne peut se marier ? La loi n’en tient pas compte. Je ne saurais te garder pour ma femme, s’il lui plaît de nous séparer. C’est pourquoi je souhaiterais ne l’avoir jamais vue, — pourquoi je m’en veux d’être né ! Mieux vaudrait pour tous deux, mieux vaudrait pour ce pauvre enfant n’être pas au monde. Tout cela peut lui arriver aussi.

— Oh ! notre maître, à nous, est si bon !

— Oui, mais qui sait ? il peut mourir, et alors l’enfant sera vendu, Dieu sait à qui ? Est-ce un plaisir de le voir beau, alerte, intelligent ? Non ; je te dis, Éliza, qu’il n’y a pas en lui une qualité, une beauté qui ne te perce un jour le cœur comme un glaive ; — il vaudra trop d’argent pour que tu puisses le garder, pauvre femme ! »

Ces paroles frappèrent Éliza de stupeur. La vision du marchand d’esclaves lui revint ; elle pâlit, la respiration lui manqua comme si elle eût reçu un coup mortel. Elle chercha des yeux son Henri qui, las du ton grave de la conversation, était allé sous la véranda, où il galopait triomphant sur la canne de M. Shelby. Elle eut envie de parler à son mari de ses craintes, mais elle se retint.

« Non, non, il en a déjà bien assez, pauvre homme ! pensa-t-elle, je ne lui dirai rien. D’ailleurs, ce n’est pas vrai ; maîtresse ne m’a jamais trompée.

— Ainsi, Éliza, ma fille, dit son mari, courage et adieu, car je pars.

— Tu pars, et pour où, Georges ?

— Pour le Canada. — Il se redressa de toute sa hauteur : — et une fois là-bas je te rachèterai. Nous n’avons