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nous ressaisit et nous plie à sa marche monotone. Il faut vaquer aux soins de chaque jour, poursuivre des milliers d’ombres qui ne nous touchent plus. La froide et mécanique habitude de vivre persiste, alors que ce qui en faisait l’intérêt et le charme a disparu.

Tout l’avenir de Saint-Clair s’était, à son insu, concentré dans sa fille. Il avait agrandi ses propriétés, embelli sa demeure pour Éva. C’était pour Éva qu’il voulait régler l’emploi de son temps. Acheter, améliorer, changer, disposer quelque chose pour Éva, était devenu une si douce et si longue habitude, qu’il lui semblait maintenant n’avoir plus rien à prévoir, plus rien à faire ici-bas.

Il y a, il est vrai, une autre vie, — une vie qui, dès qu’on y croit, se dresse, chiffre immuable et solennel devant les zéros du temps, et leur prête une valeur mystérieuse, inouïe. Saint-Clair le savait ; souvent, en ses heures de solitude, il entendait la voix faible et enfantine l’appeler du haut des cieux ; il voyait la petite main lui indiquer le sentier de Vie ; mais la léthargie de la douleur l’accablait, — il ne pouvait « se lever et marcher. » Sa nature était de celles qui perçoivent plus clairement les idées religieuses, et les comprennent mieux par instinct que beaucoup de chrétiens positifs et pratiques. La faculté d’apprécier les nuances les plus délicates, de saisir les rapports les plus intimes de la morale, se rencontre souvent chez ceux-là même qui affichent pour elle le plus insouciant dédain. Moore, Byron, Goethe ont mieux défini le sentiment religieux que les hommes qui en ont fait la règle suprême de leur vie. Chez de tels esprits l’indifférence religieuse est une haute trahison, — un péché doublement mortel.

Saint-Clair ne s’était jamais plié aux devoirs religieux. Il comprenait toute la portée de ceux qu’impose le Christianisme, et reculait devant les exigences de sa conscience, une fois qu’il serait entré dans la voie des réformes. Triste inconséquence de la nature humaine, qui