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eût pu deviner que tous ces semblants de vie n’étaient que le masque creux d’un cœur désolé, et muet comme le sépulcre ?

« M. Saint-Clair est un homme étrange ! dit un jour Marie à miss Ophélia d’un ton lamentable ; je m’étais imaginée que notre chère petite Éva était tout ce qu’il aimait au monde ; eh bien ! il semble déjà l’avoir oubliée ! Je ne puis l’amener à m’en parler. J’aurais vraiment cru qu’il montrerait plus de cœur.

— Les eaux dormantes sont les plus profondes, dit-on, reprit miss Ophélia d’un ton sentencieux.

— Oh ! je n’en crois pas un mot ; c’est bon pour parler. Les gens qui ont de la sensibilité la montrent ; ils ne sauraient faire autrement. C’est un grand malheur d’être sensible. J’aimerais bien mieux être faite comme Saint-Clair. Ma sensibilité me consume !

— C’est mait’ Saint-Clair qui maigrit, maîtresse ! ce n’est quasiment qu’une ombre ! dit Mamie ; il ne mange plus du tout : il n’oublie pas miss Éva, bien sûr ; et qui pourrait l’oublier, la chère petite âme bénie ! ajouta-t-elle en s’essuyant les yeux.

— En tous cas il n’a guère d’égards pour moi, reprit Marie : il ne m’a pas adressé une parole de consolation, et il doit savoir qu’une mère sent autrement qu’un homme.

— Le cœur connaît seul sa propre amertume, dit gravement miss Ophélia.

— C’est précisément ce que je pense. Il n’y a que moi qui sache ce que je sens. — Personne ne paraît s’en douter. — Éva le devinait, elle ; mais elle n’est plus là ! » Et Marie se rejeta sur son sofa en sanglotant.

Elle était de ces gens, malheureusement organisés, qui, indifférents aux biens qu’ils possèdent, leur prêtent une valeur centuple dès qu’ils les ont perdus. Tant qu’une chose lui appartenait, elle n’en cherchait que les défauts : venait-elle à lui manquer, les éloges ne tarissaient plus.