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aux gémissements : à chaque minute elle réclamait les soins de tous ses domestiques. Ils n’avaient pas le temps de pleurer, eux. — Pourquoi pleureraient-ils ? Cette douleur était sa douleur à elle, et elle était bien convaincue que personne au monde ne sentait, — ne pouvait sentir comme elle.

« Saint-Clair n’a pas versé une larme ! disait-elle. Il n’a pas l’ombre de sympathie ! C’est de sa part une dureté de cœur incroyable, une insensibilité inouïe, sachant ce que je souffre ! »

La foule est tellement dupe de ce qu’elle voit, de ce qu’elle entend, que la plupart des domestiques se persuadèrent que « maîtresse » était en effet la plus à plaindre ; surtout quand Marie eut des attaques de nerfs, envoya chercher le médecin, et déclara qu’elle se mourait. Les allées et venues, les applications de bouteilles d’eau bouillantes, de flanelles chaudes, les frictions, le bruit, l’embarras étaient autant de diversions salutaires.

Cependant, Tom se sentait au fond du cœur attiré vers son maître. Il le suivait partout avec inquiétude et tristesse ; et lorsqu’il le voyait si pâle et si calme, assis dans la chambre d’Éva, tenant la petite Bible devant lui, mais n’y pouvant distinguer ni un mot, ni une lettre, il comprenait qu’il y avait dans cet œil sec et fixe plus de douleur que dans tous les gémissements et toutes les lamentations de Marie.

Au bout de peu de jours la famille Saint-Clair rentra en ville, Augustin espérant échapper à ses pensées en changeant de lieu. La maison, le jardin, la petite tombe furent délaissés, et Saint-Clair parcourut de nouveau les rues de la Nouvelle-Orléans, s’efforçant de combler le vide de son cœur par le tourbillon du monde et des affaires. Ceux qui le rencontraient, sur la place publique ou au café, ne voyaient de son deuil que le crêpe noir de son chapeau ; car il souriait, causait, lisait les journaux, parlait politique, et s’informait du cours de la bourse. Qui