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Marie se rejeta sur sa chaise longue, et se couvrit la figure de son mouchoir de batiste.

L’œil d’azur d’Éva passa de l’un à l’autre, avec une expression profonde ; c’était le regard calme, lucide, d’une âme affranchie à demi de ses liens terrestres. Elle sentait, elle appréciait pleinement la différence des deux.

Elle fit de la main signe à son père. Il vint, et s’assit près d’elle.

« Papa, mes forces déclinent de plus en plus ; je sens que je m’en vais. Il y a des choses pourtant que je voudrais dire et faire, et vous êtes si fâché quand j’en dis seulement un mot… Mais il le faut, il n’y a plus à différer. — Si vous le permettiez, papa, je parlerais tout de suite.

— Mon Éva, je le permets, dit Saint-Clair. Il se couvrit le visage d’une de ses mains, dans l’autre il serrait celle de l’enfant.

— Alors, je voudrais voir tout notre monde réuni. Il y a quelque chose que je dois leur dire, à tous, reprit-elle.

— Soit, » dit Saint-Clair d’une voix altérée et sèche.

Un message, envoyé par miss Ophélia, amena en peu de minutes tous les serviteurs dans la chambre.

Éva était retombée sur ses oreillers, ses cheveux étaient épars autour de sa figure, les vives couleurs de ses joues formaient un pénible contraste avec la blancheur mate de son teint et la délicate maigreur de ses traits purs ; ses yeux encore agrandis, où respirait toute son âme, étaient fixés avec ferveur sur chacun.

Tous furent saisis : cette figure idéale, éthérée ; ces longues boucles de cheveux coupés, rangées près d’elle ; la face détournée du père, les sanglots de Marie, c’était plus qu’il n’en fallait pour émouvoir vivement une race impressionnable et tendre.

À mesure que les serviteurs entraient, ils se regardaient l’un l’autre, soupiraient, secouaient la tête ; parmi eux régnait un silence de mort.