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ait le moindre besoin, répétait-il, mais cela ne lui fera toujours pas de mal. »

S’il le faut dire, ce qui navrait ce cœur paternel, c’était la maturité croissante de l’âme et des pensées d’Éva. Sans rien perdre de ses grâces enfantines, elle laissait tomber parfois des mots si profonds, des aperçus d’une telle portée, qu’ils ressemblaient à l’inspiration. Alors Saint-Clair tressaillait ; il la serrait entre ses bras, comme si l’étreinte passionnée avait pu la sauver ; et d’énergiques, de frénétiques résolutions de la conserver, de ne jamais se séparer d’elle, gonflaient sa poitrine.

L’âme et le cœur de l’enfant semblaient absorbés dans des œuvres de bienfaisance et d’amour. Généreuse, elle l’avait toujours été d’instinct, tandis qu’aujourd’hui on remarquait en elle je ne sais quoi de féminin, de sensible, qui dépassait son âge. Elle aimait encore à jouer avec Topsy, avec les autres enfants de toute nuance ; mais, spectateur plutôt qu’acteur, elle restait assise des demi-heures entières à rire des espiègleries de Topsy ; — puis soudain, une ombre passait sur son doux visage, son œil se troublait, et sa pensée errait au loin.

« Maman, dit-elle un jour tout à coup à sa mère, pourquoi ne pas enseigner à lire à nos esclaves ?

— Belle question, enfant ! Personne ne le fait.

— Pourquoi non ? insista Éva.

— Parce que la lecture ne leur serait bonne à rien. Elle ne leur enseignerait pas à travailler, et c’est pour cela qu’ils sont faits.

— Pourtant, ne faut-il pas qu’ils lisent la Bible pour connaître la volonté de Dieu ?

— Oh ! ils n’ont qu’à se faire lire le peu dont ils ont besoin.

— Mais, maman, il me semble que la Bible c’est le livre de tous ? chacun doit le pouvoir lire. Souvent ils en auraient tant d’envie, et il ne se trouve personne pour les aider !