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et s’efforcer d’éveiller ses sympathies. Il écoutait ses plus touchants appels avec une politesse désespérante. « Tout aboutit à ceci, disait-il : dois-je renvoyer Stubbs ou le garder ? Stubbs est la ponctualité, l’honnêteté même, un homme d’affaires essentiel, et aussi humain que la plupart des gens. Nous ne pouvons avoir la perfection ; si je le garde, je dois maintenir son administration dans son ensemble, quand même il se passerait, de temps à autre, des choses exceptionnelles. Tout gouvernement implique une sévérité nécessaire. On ne peut juger les règles générales d’après les cas particuliers. » Mon père semblait considérer cette dernière maxime comme une décision souveraine en matière de cruauté. Après l’avoir prononcée, il s’étendait ordinairement sur le sofa, en homme qui en a fini des affaires, et qui se dispose à faire un somme, ou à lire le journal, selon l’occasion.

« Le fait est que mon père avait de la vocation pour être homme d’État. Il eût partagé la Pologne aussi aisément qu’une orange, ou foulé systématiquement aux pieds la pauvre Irlande, sans le moindre scrupule. Enfin, ma mère céda, en désespoir de cause. On ne saura qu’au jour du Jugement Dernier ce que de nobles et sensitives natures comme la sienne ont souffert de leur impuissance, plongées dans ce gouffre d’injustice et de cruauté, dont elles comprennent seules les ténébreuses horreurs. Pour ces âmes d’élite, notre monde est un enfer anticipé ! Que lui restait-il, à elle ? ses enfants, et la consolation de les élever dans ses vues, avec ses sentiments. Eh bien, après tout ce qu’on a dit de l’éducation, l’homme demeure ce qu’il est par nature, et rien de plus. Alfred était aristocrate au berceau ; à mesure qu’il grandit, toutes ses sympathies, tous ses raisonnements prirent cette direction, et les exhortations de ma mère furent jetées aux vents. Elles pénétrèrent, au contraire, profondément en moi. Jamais elle ne contredisait ouvertement ce que disait mon père ; jamais elle ne semblait différer d’avis avec lui ;