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elle ne parviendrait pas à exorciser le démon de la ruse.

— N’y en a-t-il donc pas d’honnêtes ?

— Si ; par-ci, par-là, il s’en trouva un que la nature a fait si simple, si opiniâtrement véridique et fidèle, que les pires influences ne le peuvent gâter. Dès le sein de la mère, l’enfant de couleur voit et sent que les voies souterraines lui sont seules ouvertes. Il n’a pas d’autre issue pour se faufiler dans les bonnes grâces de ses parents, de sa maîtresse, du jeune maître et de ses compagnons. La ruse, le mensonge, lui deviennent des habitudes familières, inévitables. Il y aurait injustice à attendre de lui autre chose. On ne doit pas l’en punir. Quant à la probité, l’esclave, à demi enfant, est tenu dans cet état de dépendance où il lui est presque impossible de comprendre le droit de propriété, et de ne pas considérer les biens de son maître comme siens, dès qu’il peut se les approprier. Quant à moi, je ne vois pas comment il pourrait être honnête. Un homme tel que Tom, ici, est — ma foi ! — est un miracle moral !

— Et que deviennent leurs âmes ? demanda miss Ophélia.

— Ce n’est pas là mon affaire, que je sache, repartit Saint-Clair. Je ne me mêle que de la vie présente. Du reste, il est à peu près admis que, pour notre bien-être, la race entière est dévolue au diable en ce monde, quoi qu’il puisse advenir de l’autre.

— C’est horrible ! dit miss Ophélia, vous devriez rougir de vous-même !

— Cela m’arrive bien quelquefois. Mais que voulez-vous ? on est en si bonne compagnie, reprit Saint-Clair, tant de gens suivent la route battue ! Regardez en haut, en bas, d’un bout à l’autre de l’univers, n’est-ce pas la même histoire ? Les classes inférieures ne s’usent-elles pas, esprit, corps et âme, au profit des classes supérieures ? Il en est ainsi en Angleterre ; il en est de même partout ; et cependant toute la chrétienté s’émeut et s’indigne