Ceci se passait pendant le déjeuner, peu de jours après l’arrivée de miss Ophélia.
— Elle est la bien venue, répondit Marie, laissant avec nonchalance tomber sa tête sur sa main : elle s’apercevra bien vite à l’épreuve que les véritables esclaves, ici, ce sont les maîtresses.
— Certainement, elle découvrira cela, et un monde d’autres vérités salutaires, dans le même genre ; sans nul doute.
— On parle d’avoir des esclaves ! comme si c’était pour notre bien-être ! Si nous consultions notre bonheur et notre repos, nous leur donnerions à tous la volée d’un seul coup. »
Évangeline fixa sur la figure de sa mère ses grands yeux sérieux, avec une ardente expression d’anxiété, et dit simplement : « Pourquoi les gardez-vous alors, maman ?
— À coup sûr, je n’en sais rien, si ce n’est comme pénitence ; ils sont la croix de ma vie, l’unique et véritable cause de tous mes maux. Ce sont les plus mauvais esclaves dont personne ait jamais été affligé.
— Allons, cela n’est pas, vous le savez, Marie ; vous avez des vapeurs ce matin. Tenez, Mamie n’est-elle pas la meilleure des créatures ? que deviendriez-vous sans elle ?
— Mamie est la meilleure que j’aie rencontrée, et cependant Mamie elle-même devient égoïste, atrocement égoïste ; c’est le défaut de la race.
— L’égoïsme est un atroce défaut, en effet, dit gravement Saint-Clair.
— Voilà Mamie, n’est-ce pas égoïste à elle de dormir si profondément, quand elle sait que presqu’à toute heure de la nuit j’ai besoin de petites attentions ? Elle est si difficile à réveiller pendant mes plus grandes souffrances ! Je suis plus malade ce matin, grâce aux efforts que j’ai faits pour l’appeler.