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les longues rangées de cases, toujours à distance de la majestueuse demeure du maître et de ses parcs somptueux ; et à mesure que se déroulait le tableau mouvant, son pauvre cœur insensé, retournait à la ferme du Kentucky, avec ses vieux hêtres touffus ; — à la grande maison, avec ses frais et longs vestibules, et tout proche, à la petite case enfouie sous les roses et les bignonias : là, il revoyait les figures aimées de camarades d’enfance grandis avec lui ; il retrouvait sa vigilante femme hâtant les apprêts de leur repas du soir ; il entendait le joyeux rire des garçons à leurs jeux, et le doux gazouillis de la petite mignonne sur son genou. Puis, il tressaillait soudain ; tout avait disparu, et, glissant le long des deux bords, reparaissaient les interminables champs de canne à sucre, les cyprès, les plantations successives ; tandis que les craquements, les mugissements de la machine, venaient lui rappeler que c’en était fini, à tout jamais fini, de cette phase de sa vie.

En pareil cas, lecteur, vous écririez à votre femme, à vos enfants. Mais Tom ne savait pas écrire — la poste pour lui n’existait point ; jamais un signe, un mot ne franchirait l’abîme de la séparation.

Est-il donc étrange que des larmes vinssent mouiller les pages de sa Bible, alors que la tenant ouverte sur un ballot, suivant d’un doigt patient ligne après ligne, il cherchait à s’en retracer les divines promesses ? Tom avait appris tard ; c’était un lecteur peu expert, et il cheminait pesamment de verset en verset. Son livre de prédilection était heureusement de ceux qui ne perdent rien à être lus avec lenteur : au contraire, chaque mot, pareil à un lingot d’or, doit être pesé à part, afin que l’esprit se pénètre de son inestimable valeur. Ainsi faisait Tom, suivant du doigt chaque syllabe, et la prononçant à demi voix.

« Que-votre-cœur-ne-se-trouble-point. Il-y-a-plusieurs-demeures-dans-la-maison-de-mon-père. Je-m’en-vais-vous-préparer-le-lieu. »