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cœur en était précisément à ce point, où le mien et le vôtre, monsieur, pourraient atteindre, avec de la culture et des efforts. Le regard égaré, que la mère au désespoir jeta sur lui, aurait pu troubler un homme moins expérimenté ; mais il y était fait. Il avait vu cent et cent fois cette même expression. Vous vous y ferez aussi, ami lecteur ; et le grand but d’efforts récents est d’y accoutumer nos républiques du Nord, pour la plus grande gloire de l’Union. Aussi le trafiquant regardait-il l’angoisse mortelle qui contractait ces sombres traits, ces mains crispées, ce souffle haletant, comme les incidents ordinaires du commerce. Il se demandait seulement, à part lui, si elle allait crier, et mettre le bateau en rumeur ; car, de même que les défenseurs acharnés de certaines institutions, il haïssait l’agitation par-dessus tout.

Mais la femme ne cria pas : le coup l’avait frappée trop droit au cœur.

Elle s’assit : la tête lui tournait. Ses mains détendues retombèrent inertes à ses côtés. Elle regardait devant elle, sans rien voir. Le bruit, le bourdonnement du bord, le gémissement de la machine, se confondaient, comme en un cauchemar, à ses oreilles effarées. Le pauvre cœur foudroyé n’avait plus ni cri ni larmes pour épancher sa profonde angoisse. Elle était calme en apparence.

Le marchand, qui, ses intérêts à part, était presque aussi humain que la plupart de nos hommes politiques, se crut appelé à lui donner les consolations qu’admettait la circonstance.

« Je sais que ça doit t’être sensible, d’abord, Lucie, dit-il, mais une fille de bon sens, éveillée comme toi, prendra vite le dessus. C’est nécessaire, tu comprends ; personne n’y peut rien.

— Oh ! ne me parlez pas, maître ! — ne me parlez pas ! » dit-elle de la voix de quelqu’un qui étouffe.

Il persista : « Tu es une jolie fille, Lucie. Je te veux