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m’avait adressé un mot affectueux, jusqu’au jour où j’allai travailler dans votre fabrique, monsieur Wilson. Vous me traitiez humainement ; vous m’encouragiez à bien faire, à apprendre à lire, à écrire, à m’essayer à quelque chose, et Dieu sait quelle reconnaissance je vous en garde ! Ce fut alors que je connus ma femme ; vous l’avez vue, vous savez si elle est belle ! Quand j’appris qu’elle m’aimait, quand je l’épousai, je ne pouvais croire à mon bonheur ! je ne me sentais pas de joie. Et monsieur, son cœur est encore plus beau que son visage. Eh bien ! voilà que, tout au travers, survient mon maître qui m’enlève à mon ouvrage, à mes amis, à tout ce que j’aime, qui me broie et m’enfonce jusqu’aux lèvres dans la boue. Et pourquoi ? parce que, dit-il, j’ai oublié qui j’étais, et qu’il m’apprendra que je ne suis qu’un nègre ! Ce n’est pas tout ; il se jette entre ma femme et moi, il me commande de l’abandonner pour aller vivre avec une autre. Et vos lois qui donnent la puissance de faire tout cela à la face de Dieu et des hommes ! Prenez-y garde, monsieur Wilson, il n’y a pas une seule de ces choses qui ont brisé le cœur de ma mère, de ma sœur, de ma femme et de moi, que vos lois ne sanctionnent et ne permettent à tout homme de faire dans le Kentucky, sans que personne puisse lui dire non ! Appelez-vous ces lois les lois de mon pays ? Je n’ai pas de pays, monsieur, pas plus que je n’ai de père ! C’est un pays que je vais chercher. Quant au vôtre, je ne lui demande rien que de me laisser passer. Si j’arrive au Canada, dont les lois m’avouent et me protègent, le Canada sera mon pays, et j’obéirai à ses lois. Mais si quelqu’un essaye de m’arrêter, malheur à lui ! car je suis désespéré. Je combattrai pour ma liberté jusqu’au dernier souffle. Vous honorez vos pères d’en avoir fait autant ; ce qui était juste pour eux, l’est aussi pour moi. »

Ce récit, fait tantôt assis, tantôt debout, en marchant de long en large dans la chambre, accompagné de pleurs,