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libérer la propriété. J’ai vu ma mère mise à l’encan, elle et ses sept enfants : ils ont été vendus sous ses yeux, un à un, tous à des acquéreurs différents, et j’étais le plus jeune. Elle vint et s’agenouilla devant mon ancien maître, le suppliant de l’acheter avec moi, afin qu’il lui restât du moins un enfant : il la repoussa d’un coup de sa lourde botte. Je le vis, et j’entendis pour la dernière fois les cris et les gémissements de la pauvre femme, comme il m’attachait au cou de son cheval pour m’emmener chez lui.

— Et après ?

— Après, mon maître fit des échanges, et acheta ma sœur aînée ; une douce et pieuse fille — de l’Église des Anabaptistes, — et aussi belle que l’avait été ma pauvre mère, bien élevée aussi, et de bonnes mœurs. Je me réjouis d’abord qu’on l’eût achetée ; c’était pour moi une compagne, une amie. Mais je ne tardai pas à en être fâché. Je me suis tenu à la porte, monsieur, et je l’ai entendu fouetter ; chaque coup me coupait le cœur au vif, et je ne pouvais rien pour elle ! On la fouettait, monsieur, parce qu’elle voulait mener une vie honnête, une vie chrétienne, interdite par vos lois à la pauvre fille esclave. Enfin, je la vis enchaînée avec le troupeau d’un marchand d’hommes, et expédiée au marché de la Nouvelle-Orléans : — et cela uniquement parce qu’elle s’obstinait dans son honnêteté. — Depuis lors je n’en ai plus rien su. Je grandis, — durant de longues années, — sans père, ni mère, ni sœur ; sans une âme qui s’intéressât à moi plus qu’à un chien : fouetté, grondé, affamé ! Oui, monsieur, j’ai eu souvent si grand’faim que j’étais trop heureux de ramasser les os qu’on jetait à la meute ; et pourtant, quand, tout petit garçon, je veillais et pleurait la nuit, ce n’était pas de faim, ce n’était pas à cause du fouet. Non ! je pleurais ma mère et mes sœurs ; je pleurais de n’avoir pas sur terre un ami qui m’aimât. Je n’avais jamais connu ni paix, ni consolation : jamais on ne