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— Des grâces ! dit tante Chloé, je n’en vois guère. C’est pas juste, non, c’est pas juste ! le maître n’aurait jamais dû en venir à te laisser prendre, toi, pour payer ses dettes. Lui as-tu pas gagné deux fois plus qu’on ne lui donne de toi ? Il te devait ta liberté ; il te la devait depuis des années. Il est peut-être bien empêché, je ne dis pas non ; mais ce qu’il fait là est mal, je le sens. Rien ne me l’ôterait de l’idée. Une créature si fidèle, qui a toujours mis l’intérêt du maître avant le sien, qui comptait plus sur lui que sur femme et enfants ! Ah ! ceux qui vendent l’amour du cœur, le sang du cœur pour se tirer d’embarras, auront à régler un jour avec le bon Dieu !…

— Chloé, si tu m’aimes, faut pas parler ainsi, pendant la dernière heure, peut-être, que nous aurons jamais à passer ensemble. Vrai, je peux pas entendre un mot contre le maître. A-t-il pas été mis dans mes bras tout petit ? C’est de nature, vois-tu, que j’en pense toutes sortes de biens ; mais, lui, pourquoi se préoccuperait-il du pauvre Tom ? Les maîtres sont accoutumés à ce que tout se fasse au doigt et à l’œil, et ils n’y attachent pas d’importance. On ne peut pas s’y attendre, vois-tu ! compare seulement notre maître aux autres. — Qu’est-ce qui a été mieux traité, mieux nourri, mieux logé que Tom ? Jamais le maître n’aurait laissé arriver ce mauvais sort s’il avait pu le prévoir, — je le sais ; j’en suis sûr.

— C’est égal, — il y a quelque chose de mal au fond, dit la tante Chloé, dont le trait prédominant était un sentiment têtu de justice ; je ne saurais au juste dire où, mais il y a du mal quelque part, c’est certain.

— Levons les yeux là-haut, vers le Seigneur, il est au-dessus de tous ; un pauvre petit oiseau ne tombe pas du ciel sans sa permission.

— Ça devrait me reconsoler ; eh bien, ça ne me console pas du tout, dit tante Chloé ; mais à quoi sert de parler ? je ferais mieux de mouiller ma pâte, et de te faire un bon déjeuner, car qui sait quand tu en auras un autre ? »