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heure, et les marmots dorment ensemble dans le coffre à roulettes.

Tom possédait au plus haut degré la tendresse de cœur, les affections de famille qui, pour le malheur de sa race infortunée, sont un de ses caractères distinctifs. Il se leva, et alla en silence regarder ses enfants.

« Pour la dernière fois, » dit-il.

Tante Chloé ne parla pas, mais elle passa et repassa le fer avec énergie sur la grosse chemise, déjà aussi lisse que possible ; puis, s’arrêtant tout à coup avec un mouvement désespéré, elle s’assit, éleva la voix et pleura.

« Je suppose qu’il faut se résigner ; mais, ô seigneur bon Dieu ! comment pouvoir ?… Si je savais tant seulement où on va te mener, mon pauvre homme, et comment tu seras traité ! Maîtresse dit qu’elle tâchera, qu’elle te rachètera dans un an ou deux ; mais, seigneur ! personne ne revient de ceux qui s’en vont là-bas ! on les y tue, pour sûr ! Ai-je pas entendu conter comme on les écrase de travail sur les plantations !

— Il y a le même Dieu là-bas qu’ici, Chloé.

— Ça se peut bien ; mais le bon Dieu laisse arriver des choses terribles quelquefois. Je n’ai pas grande consolation à attendre de ce côté.

— Je suis entre les mains du Seigneur, dit Tom. Rien ne peut aller plus loin qu’il ne veut, et il y a toujours une chose dont je le remercie : c’est que ce n’est ni toi, ni les petits qui sont vendus, mais moi. Vous resterez ici en sûreté ; ce qui aura à tomber ne tombera que sur moi, et le Seigneur me viendra en aide… je le sais. »

Ah ! brave et mâle cœur, tu étouffes ta douleur pour réconforter tes bien-aimés ! Tom parlait avec peine, quelque chose le tenait à la gorge ; mais sa volonté était ferme et vaillante.

« Pensons aux grâces que nous avons reçues, ajouta-t-il d’une voix brisée, comme s’il lui eût fallu en effet un grand effort de courage pour y penser en ce moment.