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« Madame, dit-elle, n’avez-vous jamais perdu d’enfant ? »

La question tout à fait inattendue rouvrait une blessure vive : il n’y avait pas un mois qu’un enfant chéri avait été déposé dans la tombe.

M. Bird se détourna et marcha vers la fenêtre : sa petite femme fondit en larmes, et retrouvant enfin la voix : « Pourquoi me demander cela ? dit-elle ; j’ai perdu un cher petit…

— Vous me plaindrez alors ; j’en ai perdu deux, l’un après l’autre ; ils sont enterrés là-bas, d’où je viens. Il ne me restait plus que celui-ci. Jamais je n’ai dormi une nuit sans lui. C’était tout mon avoir, tout mon amour, tout mon orgueil ! et l’on allait me l’enlever, madame, pour le vendre ! le vendre au Sud ! l’emmener tout seul ! un enfant ! un petit enfant qui jamais n’a quitté sa mère ! Je n’ai pu le supporter, madame. Je n’avais que lui au monde ; sans lui je ne pouvais plus être bonne à rien. Quand j’ai su les papiers signés, quand je l’ai su vendu, je l’ai pris dans mes bras ; j’ai couru toute la nuit : mais ils m’ont poursuivie, l’homme qui l’avait acheté et quelques-uns des gens de mon maître : je les sentais derrière moi, je les entendais ; et j’ai sauté sur la glace. Comment j’ai traversé, Dieu le sait, non pas moi. Seulement je me souviens d’un homme qui m’a tendu la main, de la rive, et m’a aidée à y monter. »

Ni pleurs, ni sanglots ; la femme en était au point où les larmes tarissent. Mais chacun autour d’elle laissait, à sa manière, échapper les marques d’un profond attendrissement.

Les deux petits garçons, après une perquisition désespérée dans leurs poches, à la recherche de ce qui ne s’y trouve jamais, un mouchoir, sanglotaient dans les pans du jupon de leur mère où ils s’essuyaient les yeux et le nez à cœur joie ; madame Bird se cachait le visage dans son mouchoir ; et la vieille Déborah, les larmes roulant