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son cœur invoque Dieu : « Vrai Père, en ce jour, défends-moi, toi qui sauvas Jonas et le retiras du corps de la baleine […], toi qui épargnas le roi de Ninive et qui délivras Daniel de l’horrible supplice dans la fosse où il était avec les lions, toi qui protégeas les trois enfants dans la fournaise ardente ! En ce jour, que ton amour m’assiste ! Par ta grâce, s’il te plaît ainsi, accorde-moi que je puisse venger mon neveu Roland ! » Quand il eut fait oraison, il se redressa debout et signa son chef du signe puissant. Il se remet en selle sur son cheval rapide : Naimes et Jozeran lui ont tenu l’étrier. Il prend son écu et son épieu tranchant. Son corps est noble, gaillard et de belle prestance ; son visage, clair et assuré. Puis il chevauche, ferme sur l’étrier. À l’avant, à l’arrière, les clairons sonnent ; plus haut que tous les autres, retentit l’olifant. Par pitié de Roland, les Français pleurent.

CCXXVII

TRÈS noblement l’empereur chevauche. Sur sa poitrine, hors de la brogne, il a étalé sa barbe. Pour l’amour de lui, les autres font de même ; par là se reconnaîtront les cent mille Français de son corps de bataille. Ils passent les monts et les hauteurs rocheuses, les vaux profonds, les défilés pleins d’angoisse. Ils sortent des ports et de la région inculte. Ils ont pénétré en Espagne et s’établissent au milieu d’une plaine.