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a une si grande douleur ! Il éperonne son cheval, le laisse courir à plein élan, va frapper Aelroth le plus fort qu’il peut. Il lui brise l’écu et lui déclôt le haubert, lui ouvre la poitrine, lui rompt les os, lui fend toute l’échine. De son épieu, il jette l’âme dehors. Il enfonce le fer fortement, ébranle le corps, à pleine hampe l’abat mort du cheval, et la nuque se brise en deux moitiés. Il ne laissera point, pourtant, de lui parler : « Non, fils de serf, Charles n’est pas fou, et jamais il n’aima trahir. Nous laisser aux ports, ce fut agir en preux. En ce jour douce France ne perdra point sa louange. Frappez, Français, le premier coup est nôtre. Le droit est devers nous, et sur ces félons le tort. »

XCIV

Un duc est là, qui a nom Falsaron. Celui-là était frère du roi Marsile ; il tenait la terre de Dathan et d’Abiron. Sous le ciel il n’y a pire truand. Si large est son front qu’entre les deux yeux on peut mesurer un bon demi-pied. Il a grand deuil quand il voit son neveu mort. Il sort de la presse, charge à bride abattue, pousse le cri d’armes des païens, lance aux Français une injure : « En ce jour, France douce perdra son honneur ! » Olivier l’entend, s’irrite. Il éperonne de ses éperons dorés, en vrai baron va le frapper. Il lui brise l’écu, lui déchire le haubert, lui enfonce au corps les pans de son gonfanon,