Page:Becq de Fouquières - L’Art de la mise en scène, 1884.djvu/85

Cette page n’a pas encore été corrigée

même du poète: c'est là qu'il faut chercher les mobiles secrets de ses héros, qui obéissent bien plus à la volonté expresse de leur créateur qu'à la logique de leurs propres passions; et c'est là seulement que peuvent entièrement se réaliser ses conceptions scéniques et décoratives souvent à peu près irréalisables, comme dans le Roi s'amuse.

Dans tous les drames de Victor Hugo, l'imagination est tellement instante et puissante, à tous les moments de l'action, qu'un jour, fait inouï dans les annales dramatiques, dans un tableau qui ouvre un des actes de Quatre-Vingt-Treize, le poète a soudain supprimé décors et acteurs, et, sans autre intermédiaire que l'orchestre et des comparses derrière la toile baissée, a fait assister toute une salle de théâtre à un drame sanglant, faisant ainsi passer directement de son imagination dans celle du spectateur une série d'images émouvantes, sans l'interposition nécessaire d'images sensibles et réelles. Quand je dis toute la salle, je me trompe, car tandis qu'une partie de l'orchestre s'associait à l'émotion esthétique du poète, des hauteurs du théâtre on réclamait à grands cris le lever du rideau. Là haut, ils voulaient voir ce qui n'existait pas, et ils réclamaient la vue directe d'un drame dont leur imagination était incapable de leur fournir une image subjective! Il leur aurait tout au moins fallu le récit classique que justifie donc, dans certains cas, le procédé du maître moderne.

La mise en scène d'un tel poète sera toujours difficile à réaliser. Elle devra souvent être d'ordre composite,