nous nous fassions guider, jamais notre scène, avec ses personnages de création toute poétique, ne nous offrira un tableau véritable de la vie antique; pas plus d'ailleurs que les personnages héroïques qu'ont peints Homère et Eschyle n'ont jamais ressemblé aux êtres historiques dont un savant moderne, dans sa foi ardente, exhume les restes à Mycènes et à Troie. Les Grecs contemporains de Sophocle ne reconnaîtraient certainement pas la tragédie du plus grand de leur poète dans l'Oedipe roi qu'on joue actuellement à la Comédie-Française. Elle est pourtant une traduction aussi fidèle que possible, et la mise en scène en a été réglée avec un goût parfait. Ils seraient choqués de voir les héros et les rois descendus de leurs cothurnes et ramenés à la taille des marchands d'Athènes, et de les entendre parler sans masques d'une façon aussi simple et aussi peu mélodique. Quant aux chœurs, ils se demanderaient par quelle aberration du goût on ose leur faire déclamer des strophes sur une musique qui ne s'y adapte pas métriquement. C'est que les Grecs concevaient de leur propre antiquité une image toute différente de celle que nous nous en formons, et avaient sur l'art tragique des idées très différentes des nôtres. Maintenant qu'ils sont devenus eux-mêmes l'antiquité, ce sont eux qui nous intéressent, et, à la distance où nous sommes d'eux, nous les confondons volontiers avec leurs héros et avec leurs dieux mêmes, ce qui prouve bien que ce monde mythologique, héroïque et historique n'existe à l'état décoratif que dans
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