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qui ont contribué à les former en nous. Faire de la mise en scène une copie servile de la réalité serait d'abord une impossibilité matérielle, et ensuite, quand le temps est un des facteurs de la question, un non-sens artistique, puisqu'elle serait en perpétuelle contradiction avec les lentes, mais inéluctables transformations que les lois de l'esprit imposent à toutes nos idées. Enfin il faudrait que chaque objet du monde extérieur eût une représentation identique dans chaque cerveau humain. Quelques auteurs modernes qui se piquent d'une exactitude scrupuleuse se leurrent eux-mêmes, parce qu'ils ne se rendent pas compte que ce qu'ils prennent pour la réalité n'est qu'une image et qu'une interprétation de la nature, modifiable suivant le tempérament, la constitution physique et l'adaptation physiologique de chacun de nous.

Il faut reconnaître que la réalité est en soi quelque chose qui échappe à la certitude humaine, et que pour un même objet il y a autant d'images différentes de cet objet que d'observateurs. Et, en effet, ce que nous appelons réalité n'est en fait qu'une œuvre d'art qui a pour auteur l'artiste que la nature a caché au fond de chacun de nous. La prétention qu'a l'école réaliste d'être plus vraie que l'école idéaliste n'est, chez beaucoup de ses adeptes, qu'une infirmité intellectuelle qui consiste à croire les images qui se forment dans notre œil plus ressemblantes que celles qui se forment dans l'œil de nos semblables. Où la théorie réaliste ou naturaliste reprend de sa valeur et de son importance, c'est lorsqu'elle nous fait une loi