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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

la vénérable mère, qui pourtant lui était parente ; il toussa, prisa, marcha comme un homme qui venait d’avoir la goutte, vanta l’ordre et la tenue du couvent de façon à enchanter la supérieure.

— Votre jardin, lui dit-il, est fort agréable, l’église est petite, mais bien décorée. Cyrano de Bergerac et le comte de Pagan ont fort bien fait, ma mère, de se faire enterrer chez vous, et si je n’étais pas un simple bourgeois… Mais, de grâce, veuillez mander ici cette chère demoiselle, mes instants sont comptés, et je dois ce soir la conduire à une personne…

— Je le sais, reprit la mère, elle vous attend ; vous êtes M. Lecamus ?

— M. Lecamus, pour vous servir, reprit Lauzun, adoptant avec plaisir ce nouveau nom ; ma voiture est là, vous le voyez, je suis exact. À soixante ans passés on connaît le prix du temps.

Après avoir prié M. Lecamus de l’attendre dans le parloir, la supérieure s’en fut au jardin chercher mademoiselle Leclerc. Elle pensait la trouver au milieu de ses compagnes et prenant sa part de la récréation, mais Paquette tout en larmes s’était renfermée dans l’une des tribunes de l’église.

Elle y priait Dieu avec d’autant plus de ferveur, qu’elle ignorait vraiment en quelles mains elle allait tomber. Ce M. Lecamus dont Leclerc lui avait parlé ne lui était pas même connu de nom.

Appuyée sur une chaise, en forme de prie-Dieu, elle élevait au ciel ses beaux yeux dans lesquels de grosses larmes se faisaient jour, car elle avait souffert constamment et de bonne heure…

Rien n’égalait l’angélique suavité de ce regard, rien, si ce n’est peut-être le marbre de Bernin qui représente à Rome la sainte Thérèse.

Pour qui priait-elle avec tant de persévérance et d’onction ? vers quelle image invisible tendait-elle alors des mains pâles et suppliantes ? La supérieure elle-même l’ignorait,