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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

souverain, de mirer sa broderie et son velours dans ces eaux limpides encadrées par les pelouses. En vérité, que lui importaient ces nouveaux murs, cet hôtel sans nom, cette résidence sans gloire ? Sa statue couchée à terre, on la remontait sur son piédestal, mais c’était pour la reléguer dans un coin du vieux Paris.

Lauzun ne pouvait se dissimuler qu’il avait toujours deux haines à combattre : celle du roi et celle de madame de Montespan. Il se souvenait des réconciliations menteuses qu’on lui avait fait tant de fois subir, depuis l’heure de son hymen jusqu’aux négociations dont la princesse tenait elle-même journal[1]. La guerre contre le favori tombé, contre le cousin du roi continuait. Le cousin du roi ! que de larmes, d’angoisses, de froides humiliations ce titre si difficile à obtenir avait coûté à Mademoiselle, mais quelle dure captivité il avait aussi valu à Lauzun. Il est de ces hasards impitoyables qui brisent les courages les mieux trempés ; Lauzun, en touchant à Paris, avait entendu chanter aux barrières une chanson injurieuse contre Mademoiselle ; cette chanson avait pour titre la Comtesse de Lauzun. Le comte frémissait à la seule idée qu’il pouvait se voir travesti en rimes quelque jour lui-même par un mousquetaire effronté comme de Vardes. À peine arrivé, il avait déjà rencontré le sourire moqueur de Roquelaure l’envie de Grammont, la compassion railleuse du maréchal d’Humières. Il ne lui manquait plus que de se trouver vis-à-vis de Louvois ou de madame de Montespan.

— Qu’ai-je donc fait au ciel, pensait-il, pour qu’il me réservât un pareil pardon de Sa Majesté ? me voici marqué, au front comme un arbre mort, je ne devrai plus me trouver sur le passage du roi. Le roi ! n’a-t-il pas donné déjà ma compagnie au duc de Luxembourg comme il avait fait mettre à l’encan mon gouvernement de Berri, malgré les prières de Colbert ? Je ne suis pour tous que M. de

  1. Voir les Mémoires de Mademoiselle.