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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

base ? Ses qualités brillantes et ses somptueux défauts le serviraient-ils cette fois mieux que par le passé ? Remuant, ambitieux, se confinerait-il dans ces froides limites imposées par la rancune de Louis XIV ? Mènerait-il enfin une vie exemplaire avec sa femme ? Ou bien, emporté par sa fougue, étonnerait-il tout Paris du fracas de ses amours vaniteuses ?

Telles étaient les demandes que s’adressaient les plus désintéressés, mais tel était aussi le perpétuel sujet des craintes de Mademoiselle.

Retenue malade au Luxembourg longtemps avant l’arrivée de Lauzun, la princesse l’avait à peine entrevu ; mais, comme nous l’avons dit, elle avait des motifs assez plausibles pour le soupçonner d’indifférence.

Aussi ne manquait-elle pas de lui écrire chaque jour une longue lettre, que Lauzun appelait l’homélie de Mademoiselle. Ces lettres dépassaient Bourdaloue en fait de morale et d’épouvante ; elles menaçaient si haut et si fort, que le comte avait fini par s’en moquer.

Cependant Lauzun s’ennuyait dans sa nouvelle demeure, il y avait des instants où il se prenait à regretter Pignerol et ses murailles.

Ce qui ne pouvait manquer de l’entretenir dans ce marasme constant, c’était son divorce résolu avec la cour.

La cour, brillant théâtre, scène unique, splendide, au temps où vivait Lauzun. Il ne pensait pas sans un amer regret aux gazons royaux qu’il avait foulés, aux portes des salons toujours ouvertes devant lui, cet ambitieux déchu qui avait jeté jadis du pain aux cygnes de madame de Montespan, des poignées d’or aux laquais de Monsieur, des serments d’amour à tous les bosquets de Fontainebleau, de Saint-Germain, de Versailles ! Ces jardins, ces cours, ces balcons de marbre interdits à tout jamais, il les avait souvent revus dans ses rêves à Pignerol, à Amboise, à Pierre-Encise. C’était alors sa tâche, son œuvre favorite, que celle de régler le matin son visage et sa démarche, de plaire au