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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Barailles et Lauzun roulaient donc sur les moelleux coussins de ce carrosse qui cheminait, nous l’avons dit, vers Vincennes. Le temps était charmant pour une rencontre à l’épée, de légers nuages amortissaient par instants l’éclat du soleil. Depuis un quart d’heure le comte paraissait rêveur et soucieux.

— Je gage, dit Barailles, que monsieur le comte songe en ce moment aux suites de sa comédie ! Quelle rentrée, bon Dieu et comme on va gloser à Saint-Germain ! Monsieur le comte ne trouve-t-il pas qu’il a peut-être poussé un peu loin la plaisanterie ?

Lauwin, pour toute réponse, siffla entre ses dents un air de chasse.

— Tout de même, reprit Barailles, ce M. d’Alluye est un grand sec qui me revient peu. Il est bien capable, de l’humeur dont je le soupçonne, d’avoir amené avec lui sur le pré quelque second qui va me faire un méchant parti. Si vous le trouvez bon, monsieur, je me contenterai de faire le guet ; le marquis de Camardon et M. de Seignelay ont croisé l’épée avant-hier, et, une minute plus tard, ils étaient pris tous deux dans la nasse de la maréchausée comme des goujons… Mais qu’a donc monsieur le comte ? ajouta Barailles, sa préoccupation n’est pas naturelle. À quoi songe-t-il ? Voudrait-il par hasard révoquer son confident ?

— Pas le moins du monde, mon cher Barailles, répondit Lauzun sur un ton de plaisanterie presque contraint, je songeais.

— À madame de Monaco, ou à madame d’Alluye ? Voyons, à moins que cette divine mademoiselle de Retz…

— Tu n’y es pas, Barailles, je songeais… à un fantôme…

— Cette fois, j’y suis… C’est l’homme de Pignerol !…

— Précisément.

— Eh quoi ! monsieur le comte, cette figure longue, sinistre, ce front couronné d’une balafre ?… Votre fantôme n’est pas beau.

— Tu as raison, c’est le diable peut-être… ou l’un de