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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

encadrait merveilleusement sa pâleur. Dans la fleur de jeunesse, il y avait quelque chose de débile et de souffrant. Était-ce à une lutte obstinée contre l’indigence ou bien à quelque chagrin secret que la jeune fille devait sa langueur ? C’est ce que Leclerc ne se donna pas pour l’instant la peine d’approfondir. Obséquieux en tout, il lui promit de faire honneur à la lettre de Saint-Évremont.

— Tout en respectant votre secret, lui dit-il, je dois vous faire remarquer, ma belle demoiselle, que la lettre de M. de Saint-Évremont intriguerait aujourd’hui bien d’autres que moi. Ce que je redoute, c’est de ne pouvoir peut-être entièrement remplir ses vues. Ma maison est loin d’offrir les ressources qu’il suppose. Quand il m’a quitté j’étais encore opulent, cet hôtel était le mien ; aujourd’hui, je suis trop heureux d’y avoir trouvé un refuge dans ma mauvaise fortune. Les temps sont bien changés, mademoiselle, pour nous autres partisans ; on nous traque, on nous poursuit, et je crains que le séjour de cette maison…

— Rassurez-vous, monsieur, répondit la jeune fille, ce n’est qu’un abri que j’implore moi-même de votre pitié. Loin de moi la pensée de vous être jamais à charge ! Ce n’est point la distraction et le plaisir, c’est la solitude que je viens chercher ici. Elle est nécessaire au succès de mes desseins, et si je savais devoir attirer sur vous le moindre danger…

— Vous êtes chez vous, ma chère demoiselle, interrompit Leclerc touché jusqu’aux larmes du ton avec lequel ces paroles furent prononcées. Ah ! c’est d’aujourd’hui que je regrette, allez, de n’être plus qu’un homme inutile, un morceau bon à jeter au feu, ajouta le vieux partisan avec un soupir. Que ne suis-je encore ce que j’étais il y a bien peu, que n’ai-je l’oreille des ministres, que ne puis-je vous accompagner partout ! J’irais, je marcherais, je lèverais tout obstacle ! Enfin, je vous le répète, vous êtes chez vous ; cette chambre, poursuivit Leclerc, est celle que je vous