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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Toujours seul ! murmura-t-il en se levant et en reprenant le chemin de sa demeure. Rien, pas même un chien qui me caresse et me persuade que je suis aimé !

Des pensées amères se faisaient jour dans son âme, mais il reprit bientôt sa froide immobilité. Quand il rentra chez lui, il franchit la cour d’un pas rapide, s’engouffra comme un tourbillon dans l’escalier, et disparut.

L’appartement où il s’enferma se trouvait placé sous les combles de l’hôtel, mais il se distinguait par une tenue assez riche. Cette sorte de belvédère à cinq fenêtres sur la cour était encombré de marbres, de bronzes, de tableaux, sinon d’un grand mérite du moins d’un grand prix, mais tout cela pêle-mêle, et comme si le propriétaire de ces raretés eût opéré un déménagement récent. Dans le salon, il y avait un portrait de femme de Mignard ; c’était la seule chose qu’un connaisseur eût prisée, et ce fut celle qui redoubla en rentrant l’accès mélancolique de notre singulier personnage. Il jeta un regard courroucé sur cette peinture, et voyant son souper servi, il s’assit devant sa table, sans toucher à aucun plat.

— Toujours seul ! répéta-t-il en se laissant tomber avec accablement dans un fauteuil.

Il examina quelques secondes les objets épars confusément autour de lui, puis détachant une clef d’un trousseau, il la fit entrer dans une serrure.

Ce panneau se trouvait masqué par une tapisserie ; il roula bientôt avec légèreté sur ses gonds. Le vieillard se trouva alors introduit dans une pièce où tous les rideaux, symétriquement tirés, laissaient filtrer à peine un maigre jet de lumière. Il y demeura un grand quart d’heure en proie à la plus profonde immobilité. Quand il en sortit, on eût cru voir un fantôme.

— Là, s’écria-t-il, les yeux encore fixés sur la porte du cabinet mystérieux, toujours là ! souvenir ardent de mon passé, image terrible et chère !