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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

avaient été dans les affaires durant le ministère de Fouquet, suivirent sa disgrâce ; jugés par la chambre, ils furent arrêtés et conduits à la Bastille. Plusieurs furent taxés à des sommes si considérables, qu’ils achevèrent même leur vie en prison.

Leurs alarmes étaient sourdes, incessantes, perpétuelles.

Les uns gagnèrent la Hollande, d’autres les Indes, plusieurs enfin, abrités dans les nuits de Paris même, cherchant à s’y faire oublier, traînèrent jusqu’à la fin une existence morne et misérable.

Au nombre des quartiers servant de refuge à ces favoris déchus de la fortune, celui du Marais offrait, même au milieu de son luxe et de sa vogue, car c’était alors le quartier brillant, des profondeurs ténébreuses.

Ainsi en était-il d’une maison vaste et superbe qui, à l’instar des autres, avançait à l’un des angles de la place Royale son corps en saillie enluminé de briques rouges, et du balcon de laquelle l’œil planait sur le beau quinconce du jardin doté de la statue équestre de Louis XIII.

À l’extérieur, cette maison ou pour mieux parler cet hôtel ressemblait à tous les autres.

Mais le seuil une fois franchi, on retrouvait à l’autre façade dans la cour une ordonnance complète de bâtiments merveilleusement disposés dans leurs sorties, et capables de mettre en défaut par leurs accessoires inventifs une meute de limiers du lieutenant civil de Paris.

C’étaient d’abord une multitude d’escaliers remplis d’issues et de portes secrètes comme un labyrinthe, puis d’immenses combles aux fenêtres mansardées formant au besoin des appartements assez confortables, dans lesquels l’œil indiscret du concierge osait rarement pénétrer.

Par la cave de cette maison, on aboutissait enfin au boulevard de la Bastille à l’aide d’un conduit souterrain dont Ninon de Lenclos, Marion de Lorme ou tout autre eût profité au beau temps de sa splendeur pour des évasions plus galantes et plus faciles.