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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

demander asile. Je suis gentilhomme, je me nomme Saint-Preuil !

— M. de Saint-Preuil ! reprit-elle comme rassurée, je connais ce nom… Oui, mon père m’en a parlé.

— Ce nom, madame, reprit Saint-Preuil avec une douleur mêlée de noblesse, est celui d’un homme assez malheureux pour se trouver en ce moment rebelle aux ordres du roi ; prisonnier encore il n’y a qu’une heure, je suis parvenu à m’évader de l’une des tours du château d’Amboise, mais on est à ma recherche…

— Vous venez de vous échapper, dites-vous, vous avez pu fuir de cette prison ?

— Oui, madame ; mais, je vous le répète, je suis poursuivi, traqué comme une bête fauve… Mon courage est à bout ainsi que mes forces, je vais périr, oh ! oui… périr si vous ne me sauvez !

— Eh ! le puis-je, monsieur ? Est-ce donc à une femme qu’il appartient de se mettre ainsi que vous en rébellion ouverte avec le roi ? Le délit pour lequel on vous avait enfermé…

— Ce délit, madame, interrompit Saint-Preuil avec une douloureuse dignité, m’est commun avec beaucoup de sujets du roi ; vous n’ignorez pas, vous ne pouvez ignorer les rigueurs de Sa Majesté et de ses édits contre ceux qui ne partagent pas sa religion…

— Vous êtes calviniste, monsieur ? demanda la dame à Saint-Preuil avec un intérêt mal déguisé.

— J’ai ce malheur, madame ; vous voyez du moins que ce n’est pas pour un crime honteux que j’ai subi ma captivité. Elle dure depuis deux ans. J’ai participé, je dois vous le dire, aux assemblées séditieuses du Languedoc, du Vivarez, des Cévennes. La guerre s’en est suivie et j’ai fait la guerre ; aujourd’hui ma tête est mise à prix. Je n’ai point de protecteurs, ajouta Saint-Preuil avec amertume ; et d’ailleurs, madame, nous avons tous notre étoile. Le chemin de la disgrâce m’était frayé ; mon père n’a-t-il pas péri