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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

voyait dès l’aube commander ses gardes et exiger des respects et des soumissions qui faisaient rire.

Quant à ses prisonniers, tous étaient loin de se voir traités par lui aussi galamment que Lauzun.

Leurs cellules verrouillées ne recevaient le plus souvent qu’un jour humide, la paille de leurs cachots était rarement renouvelée. Les paysans tourangeaux se parlaient bas entre eux des oubliettes du château d’Amboise, et l’on accusait le rébarbatif gouverneur d’en faire graisser les trappes.

Ce soir-là, c’était à onze heures, au mois de juin, un exprès revêtu de la jaquette blanche des villageois de la Loire s’enfonça dans la partie boisée dont il a été parié plus haut, et, pressant sa marche en raison de la pluie qui tombait à larges gouttes, il frappa au milieu des futaies grises à la porte d’une petite maison perdue sous d’énormes touffes d’acacias et de sorbiers.

En ce lieu déjà solitaire, cette habitation cachée avait l’air d’un ermitage ; une faible lumière échancrait alors ses persiennes, et l’on n’entendait autour d’elle que le cri du grillon tapi dans l’herbe.

Une fenêtre s’ouvrit au-dessus d’un massif embaumé de la tiède senteur des lilas, et une voix de femme demanda au messager : — Est-ce vous ?

— Certainement, madame, répondit le rustre, c’est moi. Et par un beau temps, comme vous le pouvez voir à mon haut-de-chausses. Rassurez-vous, tout va bien, et dès que vous m’aurez ouvert…

Une servante en coiffe noire introduisit l’homme ; sa maîtresse ne tarda pas à descendre.

C’était une personne d’une cinquantaine d’années, mais dont le seul aspect commandait l’admiration et le respect. Elle était encore belle, de cette beauté que donne la noblesse du visage et des manières ; son air était grand, ce devait être une femme de cour.

— Eh bien, quelles nouvelles ? dit-elle à l’exprès.