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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Pourvu que Lauzun fût rentré au château avant minuit, qu’il eût passé devant le guichetier et s’en fût fait reconnaître, il disposait de lui tout le jour, et à la réserve de deux officiers de M. d’Alluye qui le suivaient, l’ancien capitaine des gardes de Sa Majesté pouvait se croire libre. Aussi, une fois à Amboise, n’avait-il que trop justifié les craintes jalouses de Mademoiselle : grand jeu, cadeaux, collations, tous les plaisirs permis et tous ceux qui ne l’étaient pas signalaient l’exil du comte. Madame de Montespan avait conseillé à Lauzun, après sa disgrâce, de demander Lyon pour retraite ; il refusa cette ville. On parla de la Touraine, et ce fut alors que Mademoiselle trembla.

Mademoiselle, en effet, n’ignorait pas qu’à Amboise régnait alors en véritable souveraine une des anciennes amies de M. de Lauzun, madame d’Alluye, la femme du gouverneur.

Madame d’Alluye était non seulement une belle personne, mais c’était de plus une personne spirituelle.

Sensible à la disgrâce de M. de Lauzun qu’elle plaignait, tendre avec lui jusqu’à la faiblesse, d’une humeur à donner beaucoup aux soins d’une forte inclination, elle se faisait presque au fond du cœur une sorte de passion glorieuse de ce qui n’était pour le comte qu’un pur caprice. Un visage charmant, des yeux bleus, un front bombé comme celui de Diane, un regard doux et mélancolique, une taille de fée, des mains de princesse, c’était beaucoup plus qu’il n’en fallait pour charmer Lauzun, et si l’on joint à ces traits la finesse de goût et le discernement exquis de la marquise, on comprendra facilement pourquoi le comte refusa Lyon pour Amboise.

Le marquis d’Alluye fut quelque temps à soupçonner ce commerce ; c’était un homme marchant le front haut, gonflé de sa charge et de son gouvernement, sauvage au dernier point, et inquiétant sa femme par ses violences. Enseveli dans le contour noir de sa perruque, la barbe en désordre, et sa canne de commandant à la main, on le