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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

ses, de perfidies ! Raison de plus pour arracher de ton chemin ces ronces nouvelles, pour confondre l’envie par le dédain ! Oh ! la belle vie que celle où l’on se sent enfin maître de soi, où l’on demande compte à tous les moments de ceux que l’on a perdus ! Tant de lumière après tant de nuit, tant de bruit après un si morne silence ! Suis-je bien encore dans mon cachot à me débattre contre un rêve, est-ce un démon qui me parle, ou tout ceci est-il vrai ? Non, je suis chez moi, à Paris, dans mon hôtel, je pourrais dire mon palais. Oh ! mon orgueil humilié se relève enfin ; je te reconnais, tyran de mes anciens jours, tu me redemanderas une pâture. Reprends-moi donc, formidable dieu que j’ai toujours servi à genoux, rattache-moi d’un seul coup par un câble d’or à la chaîne de mes espérances trompées ! Oui, je suis Lauzun, je suis jeune, je puis retirer ce large filet que je viens de tendre et j’y trouverai encore au fond une pêche facile. Mes mains, mes mains brûlantes s’agitent enfin dans l’espace, plus de fers, plus de prison ! Oh ! oui, je suis libre, libre…

Et Lauzun, ravi, exalté, voyait les quadrilles passer et repasser devant ses yeux, il rouvrait enfin ce livre si longtemps fermé, ce livre de la cour dont ses doigts fiévreux interrogeaient chaque page.

La foule se dirigeait vers la salle où était servie la collation ; madame de Roquelaure saisit Lauzun par le bras.

— Savez-vous, monsieur le comte, que c’est une indignité, me choisir pour lectrice d’un testament qui injurie tout le monde et moi la première ! Heureusement que j’ai en le bon esprit de passer sous silence la clause qui me concernait. Mais ce que je ne puis passer sous silence, c’est votre oubli de tous les devoirs. Ah ! si madame de Lauzun votre mère était ici, ce n’est pas devant elle que vous eussiez joué une pareille comédie !

— Mais ne m’avez-vous pas un peu aidé, madame la maréchale ?

— Le ciel m’est témoin que j’ignorais la première le