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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

où il avait rêvé tant de fois du Masque de fer, cette énigme vivante que Saint-Mars gardait près de lui sous les mêmes voûtes, le pliant brodé par ses propres mains où s’asseyait madame d’Alluye quand elle obtenait la permission de le visiter, et le banc de la grande cour où il s’était évanoui en apprenant l’exécution de madame Tiquet. Lauzun vit tout cela, et Barailles, son ami, et Fouquet, ce modèle accompli de résignation pieuse et de courage, et cette jeune fille qui, sous le nom de Paquette, voltigeait alors libre et gaie comme l’oiseau en cueillant des fleurs dans la vallée de Péroude. Soudain ses yeux se voilèrent, il ne rencontra plus rien que des vapeurs noires, confuses. Un nuage avait passé sur le corps d’argent de la lune, un crêpe noir s’était étendu sur le jardin ; quand il se retourna, pensant encore aux paroles aigres du roi, le comte se trouva tout à coup devant un jeune homme…

À son regard fier, irrité, Lauzun ne comprit que trop qu’il allait s’agir entre eux d’une explication terrible.

Henri Leclerc n’avait jamais été plus beau, plus noble que dans cet instant. La figure du jeune enseigne, encadrée par de magnifiques cheveux bruns, avait un air de résolution, d’intrépidité et de menace ; il porta une main sur la garde de son épée, et présenta de l’autre à Lauzun le mouchoir ramassé par Roquelaure.

— Que me voulez-vous, monsieur ? parlez, demanda le comte en regardant fièrement le jeune homme.

— Monsieur de Lauzun, répondit Henri, connaissez-vous ce mouchoir ?

— Ma foi, non, il ne porte point mes armes, dit le comte après l’avoir examiné négligemment.

— Monsieur de Lauzun, reprit Henri, ce mouchoir est celui d’une jeune fille que vous avez attirée chez vous, d’une fille que j’aime et que vous vouliez déshonorer. Monsieur de Lauzun, vous êtes un lâche !

Le comte pâlit, fit un pas vers le jeune homme et leva sa canne…